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À Travers l’Inde en Automobile


MOORSHIDABAD, 24 MAI.


Le prince Muna, à la requête de Bougha, son tyran, a résolu de nous faire assister à une grande représentation théâtrale. Des courriers dépêchés en hâte à Calcutta doivent ramener certaines célébrités indigènes, pendant que les ouvriers s’occupent à monter la scène dans une des immenses pièces du palais. Les décors sont d’une naïveté enfantine et leurs dessins rappellent certaines caricatures, toutes de traits ; les indigènes n’ayant aucune idée des proportions et des plans.

La représentation commence à dix heures du soir pour se terminer à quatre heures du matin. C’est une réjouissance générale. Tous les familiers du Nabab, ses fils, ses serviteurs, les gens de Moorshidabad se pressent et s’entassent dans la salle. Nous avons pris place au premier rang avec le Muna Saheb et ses frères, qui ont revêtu, pour la circonstance, des habits éblouissants et des joyaux superbes. Bougha s’est faufilé dans les coulisses, sa voix fraîche et caressante presse les acteurs, donne des ordres et ajoute à la confusion qui règne derrière la scène. Un parasol de drap d’or, emblème de la souveraineté, s’agite au-dessus de la tête des princes, de nombreux éventails, dont la hampe repose sur le sol, incessamment balancés par des coolies en turban écarlate, rafraîchissent l’air brûlant.

Des serviteurs se trouvent assis à nos pieds et nous présentent de temps à autre des sorbets et du « pan », feuilles de bétel remplies de chaux et de clous de girofle.

Lorsque les princes aperçoivent dans l’assemblée quelqu’un auquel ils veuillent témoigner leur bienveillance, ils lui envoient par un « boy » un de ces petits paquets de « pan », c’est un va et vient continuel qui ne trouble aucunement les artistes. La pièce représentée s’appelle « Laïli et Manjou », une sorte de Paul et Virginie indou, qui compte parmi les œuvres littéraires les plus appréciées de l’Indoustan. Tous les rôles de femme sont tenus par de jeunes garçons remarquablement grimés.

Les situations, les attitudes, sont celles de la vie courante ; ils jouent avec un réalisme étonnant et, dans certains actes, des amateurs prennent part à la représentation, remplissant les fonctions qui leur échoient habituellement en dehors du théâtre.

Un chœur de pêcheurs, invoquant par un chant sacré Bhagirat, le père des eaux est entièrement composé de bateliers, dont les voix sonores s’élèvent chaque soir sur la rivière Baghirati dans la même prière ; le fakir, qui représente Manjou séparée de Laïli, parcourant le monde à sa recherche, n’est autre qu’un pieux