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À Travers l’Inde en Automobile

je ne distingue rien. Tel un avare, précipité dans un trésor fabuleux, je ne sais où diriger mon regard, craignant d’omettre une richesse, fascinée, stupéfiée par ce ruissellement de lumières.

Les étoffes soyeuses, souples, aux claires nuances, roses, bleutées, blanc lamé d’or, enveloppent et moulent bien les formes minces ; les animaux fantastiques en broderie d’or chevauchent sur le tissu entre des lacs où s’ébattent des poissons aux yeux de grenat et des arbres dont les feuilles luisantes sont d’émeraude. La princesse qui m’a offert le « pan » semble me considérer comme sa propriété personnelle, elle se tient à mes côtés, serrant de ses doigts déliés une manche de ma robe, elle me dit mille choses, charmantes j’imagine, en haussant jusqu’aux cris aigus le diapason de sa voix naturellement basse et gutturale. Subitement, elle m’entraine en courant, dans une vaste pièce blanchie à la chaux dépourvue de meubles et dont les dalles de marbre sont recouvertes d’épais tapis. C’est la salle commune, où les membres cadets de la famille prennent leur repas, fument ou travaillent. Elle est déserte en ce moment ; seuls, quelques gros frelons englués de sucre bourdonnent lourdement dans la clarté chaude des rayons lumineux qui filtrent à travers les nattes d’aloès. Dans une chambre voisine, des marmots nus chamarrés d’or faux, de rubans et de grelots, se livrent à un match de polo imaginaire et féroce. Un bel enfant, pâle comme un ivoire, fait soudainement irruption dans la pièce, il se précipite au devant de la princesse et, tout en lui baisant les mains, il me tend très hardiment sa petite menotte, accompagnée d’un cordial « how do you do ». Quel minuscule mais précieux interprète ! Nous nous asseyons par terre tous trois ; la princesse s’empare d’une mousseline mauve qu’elle borde d’un liséré d’or ; elle coud, tenant l’aiguille comme une poignée de glaive, à pleine main, et l’étoffe entre ses doigts de pied ombrés de henné. Sans me consulter, elle dépose sur mes genoux des écheveaux de soie avec un crochet. Je m’empresse de lui faire traduire que je suis des plus inhabiles aux travaux manuels et que si elle veut bien m’excuser, je préfère causer avec elle. Une vive surprise transforme sa physionomie éveillée et mobile ; je ne sais pas travailler, pas parler l’Urdu, j’ai l’air d’ignorer Allah, alors qu’apprend-t-on par delà le « Kala pani », l’eau noire, dont le nom seul la fait frissonner. Est-ce que je sais lire, écrire, par hasard, chanter, danser, quelles prières suis-je obligée de réciter, comment m’appelle-t-on, depuis combien d’années vois-je lever le soleil et revenir les saisons ; les naïves questions se pressent sur ses lèvres, elle écoute haletante, étonnée, les réponses qu’avec une légère hésitation lui transmet le gamin tout yeux et tout oreilles. D’un geste léger, elle écarte une préoccupation