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À Travers l’Inde en Automobile

réprimé par le « Gharidalla » et qui réussit seulement à tirer d’un sommeil paisible l’unique voyageur : un gros babou bengali.

L’apparition d’un dieu resplendissant de force et de beauté ne m’eut certainement pas ravie davantage que la rencontre de ce bonhomme à la face pâteuse et endormie. Son accent traînard et ses périphrases embrouillées, chatouillent délicieusement l’ouïe ; avec une patience inaccoutumée, nous acceptons ses flatteries, ses questions, il a commencé à nous dire qu’il arrivait de Burwa, un gros bourg éloigné d’un mille, où nous pourrons coucher, il va…, mais la suite a perdu tout intérêt. Après de chaleureux remerciements, de cordiales poignées de mains, nous le laissons légèrement ahuri, continuer sa route.

Des plantations de bananiers, quelques cocotiers élancés, nous annoncent des habitations proches. Hélas ! ce ne sont que des masures ouvertes à toutes les intempéries et inhabitables pour des Européens. Où donc est le village promis par le babou ? L’indigène plus déluré que ses concitoyens nous fait signe de le suivre et part au galop dans un chemin creux que garde une idole casquée de peinture rouge. Nous franchissons après lui l’entrée d’un jardin, au milieu duquel s’élève une maison en pierre, bien bâtie, dont les « boys » accourent en nous prodiguant les marques d’un respect infini.

Une remise attenante au bungalow est vite débarrassée des sacs de chaux qu’elle contenait et Philippe, le premier, gagne un asile mérité. Nous remarquons alors seulement une particularité assez bizarre de la maison, elle n’a ni de portes, ni fenêtres, toutes les ouvertures ferment avec des volets de bois assujettis à l’intérieur par des barres coulissant dans les murs. Les quelques chambres qui composent l’habitation sont encombrées de meubles, de tapis, de chaises cannées, de tentures, de canapés, que les domestiques disposent sous la véranda pour que nous puissions nous étendre ; sans aucun doute, nous sommes installés dans une demeure privée.

J’interroge un des indigènes qui regarde tomber la pluie, nonchalamment couché sur un morceau de nattes ; il me répond par un flot de paroles inintelligibles en faisant le geste de manger, et répète souvent « babou, babou ». Comme dîner ce serait coriace le babou !… Il vaut mieux ne songer à rien et jouir béatement de ce refuge inattendu. Je crois que nous allions tous trois nous laisser endormir par ce sentiment de confiance et somnoler comme des gens arrivés au port, lorsqu’une grande agitation des serviteurs nous donne l’alerte. Le propriétaire du bungalow