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À Travers l’Inde en Automobile

tions d’oisiveté manuelle de cette caste brahmaniale en ont fait vraiment une race de demi-dieux ! Nos visiteurs ont amené avec eux deux ou trois coolies qui se tiennent en dehors de la maison, les bras chargés de noix de cocos, de goyaves, de mangues. L’un d’eux porte des pains de bouse de vache séchée pour alimenter le feu que les Brahmes leur ont commandé d’allumer.

Eux-mêmes, lorsque les flammes rousses pétillent et s’allongent, s’approchent du foyer pour nous donner une preuve d’amitié et d’estime que Brahma serait heureux d’accepter. De leurs mains fines et souverainement pures, ils vont nous faire la cuisine ; ils lavent le riz, préparent des « curries » de poissons, de légumes, des pâtes d’amande, des crêpes épaisses ; « chapattis », qui remplacent le pain que les indigènes ne mangent pas.

Sur la table du bungalow, les domestiques ont déposé des montagnes de melons à chair rose et noire, des sortes de grenades mielleuses, jaunes comme des abricots, des mangues, des « lichi », petit fruit dont la pulpe est blanche, juteuse ; des sucreries, des boules de safran, des fritures de bambou, des graines de lotus confites, vertes comme des pois. C’est à croire que nos Brahmes ont rançonné les environs pour nous procurer toutes ces friandises indigènes.

Assis très loin de nous, ils semblent ravis de nous voir apprécier leurs attentions ; l’enfant apporte les mets sur de larges feuilles de bananiers, mais évite de nous effleurer ou même de subir le contact de la table. La souillure d’un reste, d’une miette de notre repas obligerait ces Brahmes à de longues, pénibles et minutieuses expiations.

Nous voulons les remercier après le repas et leur offrir quelques roupies, car ils sont pauvres. Ils refusent fièrement, en disant que les Aryens indous et les Européens sont frères et qu’entre mêmes races l’hospitalité est le premier des devoirs.

Au moment de quitter Dadpour, le ciel, menaçant depuis quelques heures, se charge de plus en plus. Des nuages noirs qu’un vent violent pousse l’un vers l’autre vont se joindre et éclater en un de ces orages de mousson effrayants et destructeurs.

Les Brahmes nous conseillent de rester dans leur village, ils croient que nous aurons grand peine à arriver à Berhampore le soir, si la pluie détrempe la route. Quelques kilomètres à travers un monotone paysage de rizières et de bois de manguiers nous ont vite convaincus qu’en effet nous ne coucherons pas à la capitale administrative de Moorshidabad. Le vent siffle sinistrement entre les gros troncs des banyans qui ombragent la route ; les huttes bâties entre leurs racines fibreuses sont closes et silencieuses,