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À Travers l’Inde en Automobile

des ingénieurs, qu’un homme va nous montrer. La maison est ouverte ; il n’y a pas de gardien, mais le coolie connaît les êtres, il avance des chaises, il tire d’un placard des verres, des assiettes, de l’argenterie et nous demande si nous voulons prendre quelque nourriture. Nous n’y songions plus à trois heures de l’après-midi !!! En attendant le riz qu’il nous promet, nous récapitulons les ennuis de la journée ; la somme est assez ronde, mais nous ne songeons pas un seul instant à abandonner le mode de transport que nous avons adopté pour voyager aux Indes. C’est peut-être cette incessante lutte contre des obstacles imprévus qui fait le charme de l’automobilisme ! Nous repartons après le « tifin », en consultant les cartes prêtées par M. R… Elles nous renseignent approximativement et l’une d’elles porte en gros caractères ces mots inscrits en travers du district dans lequel nous entrons : « Tigers et léopards » (Tigres et léopards). C’est rassurant, cette indication zoologique ! surtout à la nuit tombante. La route s’est transformée en une succession de dos d’âne qui glissent dans des creux de terrain pleins d’eau.

Nous voulons marcher sur la nouvelle voie du chemin de fer et pendant un certain temps nous nous en trouvons bien, mais après quelques milles, le vide d’un viaduc qui n’est pas placé nous barre le chemin. Les environs sont déserts ; très loin à l’horizon, nous distinguons quelques silhouettes de cultivateurs, parfois une habitation basse. Le pays est plat et morne. Je ne vois rien, du reste ; devant mes yeux dansent en lettres géantes ce « tigers et léopards » des cartes, et cette préoccupation m’empêche même de me réjouir avec mon frère et le chauffeur lorsque, enfin, nous aboutissons à un chemin praticable. Nous arrivons rapidement à un hameau, bâti autour de deux jolis lacs émaillés de nénuphars et ombragés de bambous pleureurs. Quelques lumières percent le feuillage, un gong appelle au temple ; nous croyons être à Nizpagatha, Mais non, il faut encore continuer pendant deux milles avec un vieil indigène que nous amenons de force pour ne pas nous égarer en des traverses inconnues, et nous débouchons devant une grande nappe d’eau. Le vieillard nous montre un bungalow bien éclairé sur l’autre rive : « Smythe Saheb », dit-il. Oui, mais il faut traverser. Le ferret est petit, incapable de supporter le moindre poids ; un gamin, empressé, a beau calfeutrer les voies d’eau avec des feuilles qu’il arrache aux arbres environnants, en nous faisant des offres de transport très avantageuses : nous ne sentons nullement la nécessité de confier Philippe à l’embarcation et à son jeune nautonnier. M. S… nous tire d’embarras en constituant à la machine une garde de ses coolies, qui se relayeront auprès d’elle toute la nuit ; nous la laissons sur place, sa forme blanche se reflétant, au clair de lune, dans les eaux sombres du lac, que trouble parfois le glissement sournois des crocodiles.