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En Bengale

des usages européens. La personnalité de l’Indoue est nulle, il nait dans un moule : la caste, dont l’atavisme et les coutumes remplacent l’initiative. Il ne se conçoit jamais comme une unité consciente, puissante, portant en lui les éléments de son malheur ou de sa fortune, mais toujours comme membre d’une collectivité qui lui impose des idées et des sentiments qu’il ne cherche pas à discuter.

C’est un éternel mineur, et la vie familiale n’est pour lui que la continuation de la vie de caste ; son aîné, par un hasard de naissance, le dominant tout comme les castes supérieures à la sienne par une volonté des dieux, prennent sur lui une préséance contre laquelle personne ne s’insurge.

L’indigène, en Bengale plus particulièrement, végète pacifiquement, endormi dans l’indoléance et la mollesse. Ses jours s’écoulent sans hésitation, sans imprévu ; la caste règle, dès le berceau, l’emploi de ses heures, elle préside à ses sentiments intimes, elle détermine ses moindres actes et jusqu’au choix de sa nourriture. Son héréditaire et prépondérante influence le subjugue pendant son existence et le suit encore dans la mort, n’accordant même pas à ses cendres l’égalité du deuil et de la sépulture. Les castes différentes ne s’allient jamais entre elles et ne se fréquentent pas ; tout sujet de dissentiment grave est évité par ce fait, les membres d’une famille n’échangeant que des idées reçues, des vues adoptées immémorialement, par cette autorité qui fait loi : une même caste dont ils tirent leurs goûts et leurs affinités.

L’Indou ignore l’âpre bataille pour la subsistance quotidienne ; il vit paresseusement sur un salaire minime mais suffisant, ne songeant point à amasser un petit pécule pour sa vieillesse indigente. La maison paternelle, au déclin de sa vie, devient son refuge ou celui de sa veuve, le chef de famille subvient à leurs besoins, les protège et les soutient. Sa religion contribue d’un autre côté à laisser l’Indou sans haine sociale, sans amertume. Son existence actuelle n’est pour lui que la suite de vies passées ou un prélude de nouvelles réincarnations. Avec une admirable philosophie, il regarde ses maux comme un châtiment de péchés antérieurs, et si dans son âme s’élève un désir inassouvissable, par la contemplation, forme parfaite de la patience, il fera violence au ciel, pour en obtenir dans une vie future la réalisation. Jamais il ne sent frémir dans ses moelles l’amour passionné de la lutte, qui, âpre comme un vent de montagne, orageux comme les flots troublés, fait bondir l’âme et le cœur.