Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
À Travers l’Inde en Automobile

les fils et les fils jusqu’à la quatrième génération en accomplissant les cérémonies pour l’âme des défunts ancêtres, murmureront encore son nom, en versant du beurre clarifié et de l’eau fraîche à ses mânes inquiètes.

La salle de prière, un réduit blanchi à la chaux, précède une chambre commune et les deux pièces habitées par Raghunat, sa femme et sa mère. Une statue de Kali en cuivre massif devant laquelle s’éteint un lampion d’huile, quelques chromos religieux suspendus aux murs meublent le sanctuaire. C’est ici que le brahme, guide spirituel de la famille, vient, lors de certaines circonstances, accomplir les cérémonies rituelles pour les membres de la maison. L’habitation est dépourvue de meubles, à l’exception de quelques couchettes en planche, suspendues au plafond, comme des escarpolettes, par de longues cordes et dont le bois disparaît sous les coussins et les traversins moelleux.

Autour des murs, de grands coffres en cèdre ou en sandal servent à enfermer les pièces d’étoffes, les vêtements, l’horoscope de chaque membre de la famille. Les économies, s’il y en a, sont toujours employées à acheter des bijoux, le seul capital que comprenne l’indigène et comme les femmes les portent constamment au cou, aux chevilles ou aux poignets, il n’y a pas de précautions à prendre contre les voleurs. La mère de Raghunat me fait traduire qu’elle a bien du mal à maintenir dans la maison cette belle ordonnance que j’admire. Six belles-filles, dont l’aînée a 17 ans, ne sont pas toujours faciles à diriger, même avec une volonté inflexible, une main autoritaire et pesante comme celle de la vieille dame.

Cette cohabitation perpétuelle dans la maison paternelle, sous la dépendance d’un aîné, auquel n’attache parfois qu’un lien de parenté fort éloigné (cousin troisième degré), paraît tout d’abord insupportable, totalement opposée à l’idée du foyer domestique personnel, libre, intime, tel que nous le comprenons en Occident. La pensée évoque les conflits d’intérêts, les luttes de tempéraments et de caractères, l’apport adverse des intelligences, des sentiments, des goûts, dans une telle communauté et la réalisation de l’harmonie apparaît comme un délire de l’imagination. Mais pour l’Indou qui est essentiellement un soumis, un patient, un routinier, ce mode d’existence présente au contraire des avantages immenses, et dans un intérieur comme celui de mes hôtes, la bonne harmonie de la vie, sans être exempte de petites tyrannies, de querelles passagères, de froissements inévitables parmi les humains, n’est en somme troublée que rarement, presque toujours par ceux des membres de la famille auxquels l’intérêt ou le snobisme conseillent de s’éprendre sans sincérité et sans discernement