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En Bengale

noirs ne sont pas mêlés d’un seul fil d’argent, chose rare parmi les indigènes qui vieillissent vite. Son fils reste respectueusement debout, attendant un signe d’elle pour prendre place sur le banc de bois où nous nous sommes assises. Elle cause avec moi d’une façon fort intelligente. Je lui raconte, par l’entremise de Raghunat, nos péripéties d’auto, notre nuit dans la jungle ; un beau sourire placide illumine son visage grave, lorsque je lui parle avec admiration du Bengale, son pays, de sa maison nette, bien ordonnée, des coutumes touchantes et originales auxquelles j’ai pu m’initier depuis quelques mois. Elle me questionne d’une voix basse, mélodieuse, insistant pour savoir si j’ai jamais goûté des mets et des sucreries indigènes ; Non ? Elle veut alors me faire accepter des gâteaux Bengali, pétris de ses mains et elle m’enmène dans une pièce voisine où ses belles-filles sont occupées à préparer le repas du soir.

Les unes attisent dans des trous de terre glaise un feu de noix de coco, sur lequel bout dans un nuage de vapeur fade, une marmite de riz. La plus jeune, à genoux, devant une pierre carrée, écrase et mêle avec un rouleau de bois des graines, des oignons, des piments, tous les condiments obligés du « currié ». D’autres farcissent de farine de maïs et de poissons frits des courges jaunes et juteuses. Deux servantes accroupies près des feux, alternativement, vont au puits et à la rivière chercher l’eau qu’elles portent dans des cruches de cuivre reluisantes ou de grands vases de terre. Mais seules les femmes de la maison peuvent faire la cuisine, mélanger les ingrédients, manier les aliments, ajouter du sel pour les plats destinés à leurs maris, car un Indou qui mangerai une nourriture préparée ou effleurée simplement par une personne de caste inférieure à la sienne, commettrait un péché grave et dans certains cas presque inexpiable. La caste brahminicale étant la caste la plus élevée, les Rahjas orthodoxes et les grands propriétaires terriens (zémindars) engagent généralement comme cuisiniers des Brahmes pauvres, dégradés, dont les mains presque divines permettent d’épargner eux princesses une besogne astreignante et vulgaire. La femme de Raghunat travaille avec ses belles-sœurs ; elle astique les bols de cuivre, les petites cruches rondes sans anse, les plats incrustés de dessins religieux qui constituent les seuls ustensiles de table de l’Indou. Son mari me la présente, mais elle se tient voilée, muette, suivant l’étiquette du pays qui il défend à une femme de parler à des étrangers en présence de son seigneur et maître. Elle a le type fin et allongé des Indoues du Bengale, les plus jolies femmes de l’Inde et aussi les plus intelligentes. Sa belle-mère l’affectionne tout particulièrement, parce qu’elle lui a donné un petit-fils, l’idole de ses jours déclinants, dont