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À Travers l’Inde en Automobile

cations compliquées aux plus curieux. La plupart se sont coiffés de chapeaux en roseaux, pointus comme des toupies, qui leur descendent jusqu’aux oreilles. C’est l’heure du labour, les charrues et les bœufs zébus robustes et infatigables, abandonnés la nuit dans les rizières, s’attellent sur place, mais en quittant sa hutte chaque cultivateur emporte une pioche au manche écourté et glisse dans son pagne une poignée de feuilles de bétel. Nous les trouvons assis sur leurs talons autour de Philippe, fumant gloutonnement la pipe portative qu’ils se passent avec un « salam ». À vrai dire, il n’existe pas pour arriver à Ranaghat, de chemin, ni même de sentier ; une succession de bosses de gazon desséchées, toujours la même ligne d’ornières pierreuses, un encombrement d’arbustes grêles poussant au caprice de la nature ; voilà la route qu’il faut vaincre. Les coolies se mettent à décaper le sol, à unifier les irrégularités du terrain, ils déblayent du mieux qu’ils peuvent la partie centrale ; leurs bêches mordent le sol meuble, éclatant des parcelles schisteuses qui retombent en nuages de poussière. Le réservoir d’essence mesuré, nous partons, nous confiant à notre étoile pour atteindre Ranaghat (15 kil.) avant son épuisement total. Des gamins essaient de nous suivre à la course, mais ce jeu les lasse bientôt et nous restons seuls, sans guide, sans renseignements, au milieu des plaines fertiles. La vue s’étend à l’infini sur des rizières boueuses, des terres fraîchement travaillées, parmi lesquelles quelques paires de « bullohs » se détachent contre les taches sombres des bois, labourant sous l’aiguillon patient du maître attentif. De fréquents croisements de sentiers augmentent notre perplexité ; ils paraissent tous aussi bons et également impraticables. Nous rencontrons deux marchands qui cheminent sur de petits chevaux bruns, aux cous entortillés de perles bleues, préservatrices du mauvais œil, ils descendent rapidement de leurs montures et se réfugient dans un taillis d’où ils nous font des salutations répétées, des gestes suppliants ; impossible d’obtenir la moindre indication de ces êtres affolés. Nous sommes entrés dans une jungle épaisse, le soleil déjà haut joue à travers les feuillages, la lumière tamisée par les branches se fait blanche, soyeuse et se dépose en ronds lumineux sur le sol broussailleux. Le moteur s’éteint, peu à peu, les battements s’affaiblissent ; l’essence s’épuise et nous avançons sans trouver de solution. Bientôt, une grande construction en brique informe apparaît entre les arbres : c’est un dispensaire élevé en pleine forêt au bord du chemin. De jeunes brahmes appuyés à une clôture qui entoure la maison nous saluent courtoisement et nous prient d’accepter quelques instants leur hospitalité. Le propriétaire de l’habitation, un Brahme médecin,