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En Bengale

portent aux chevilles. Aussi, lorsque retentit dans la solitude calme de la nuit leur farouche cri d’assaut. « kali, Ma-kali. » les bergers se blottissent dans leurs huttes de feuilles sèches en invoquant Vichnou, le bon Dieu, celui qui traverse les espaces infinis, chevauchant sur Garuda, l’incomparable oiseau bleu.

Mais nous n’avons rien à craindre d’eux, le prestige du blanc étant tel qu’un Européen peut faire le tour de l’Inde portant une simple canne comme arme défensive.

Ils baisent la terre, prosternés, tremblants devant la lumière des phares, murmurant des supplications inintelligibles à ce dieu nouveau, blanc comme l’âne de Shetala, attelé de coursiers invisibles qui avancent, comme Puspacha le véhicule magique, au gré du dieu de la fortune. À l’aide de quelque menue monnaie de cuivre, nous arrivons à les rassurer un peu, à les faire s’approcher de la machine, à les persuader de pousser aux roues, à la carrosserie, partout où le chauffeur les place, en répétant d’une voix engageante : shollo (pousse). Après quelques tentatives inutiles, l’on arrache l’auto à son lit de boue et nous repartons. Nous n’avons pas fait deux milles que nos phares s’éteignent, et, à cette époque de l’année, il ne faut pas espérer rencontrer le moindre creux d’eau, les troupeaux altérés ont achevé de mettre à sec les petites mares épargnées par un soleil aride.

La monotonie d’une plaine poussiéreuse, que relèvent seuls quelques faisceaux de bambous énormes, succède à la jungle étouffante.

Nous nous égarons plusieurs fois dans les terres labourées, trompés par la blancheur uniforme de la route et des champs. Les bornes kilométriques ont disparu, parfois un tronc d’arbre, une plante grasse, se tordent dans la clarté lunaire en des formes fantastiques d’animaux inconnus ; des oiseaux de nuit planent au-dessus de nous avec des cris perçants, un hibou m’effleure les yeux du bout de l’aile.

La fatigue et la faim commencent à nous peser lourdement : nous avançons péniblement ; le chauffeur est inquiet de l’essence qui va nous faire défaut ; nous sommes si las que, lorsque la machine tombe dans un fossé pierreux qui coupe la route, nous décidons d’attendre le jour et de coucher sur place.

Que faire ? où aller ? Depuis Kancharapara, nous n’avons pas rencontré le plus modeste gîte et si quelque habitation se cache là-bas à la lisière d’un bois de manguiers, aucune lumière ne peut nous l’indiquer, les villageois étant trop pauvres ou trop économes pour allumer leurs torches d’étoupes lorsqu’ils peuvent,