Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.
205
À Travers l’Inde en Automobile

 Les corrections sont expliquées en page de discussion

simples gens qui nous prennent pour une incarnation diabolique. Certains, en nous croisant, crachent par terre et tracent dans le sable des signes cabalistiques pour se préserver de l’esprit mauvais, le son de la corne les stupéfie et affole les bulloks. Les robustes bœufs trotteurs prennent peur, ils se retournent brusquement, renversant leur cargaison de paille de maïs et de coton. Un cavalier, porté par un maigre poney, s’élance dans la ramure d’un arbre où il se tient haletant, fou de terreur, tandis que le pauvre cheval ayant cassé sa bride d’étoffe, débarrassé d’un bât sous lequel il disparaissait, galope à travers les étendues d’herbes roussies.

La population, agricole en majorité, est vêtue très simplement de toile bise ou blanche. Le mélange de sang aborigène altère beaucoup le type des physionomies, les traits sont plus accusés, les lèvres épaisses, le regard plus terne que dans le nord. Ces races méridionales sont inférieures, l’ascendance de leurs Brahmes passe pour souillée d’alliances non aryennes ; leur religion même se ressent de l’immixtion avec les tribus primitives, ils adorent Hanuman, dieu des singes, et nombre de divinités inconnues dans l’Inde du nord, l’Inde aryenne et conservatrice.

Lorsque nous entrons à Aurengabad, la lune brille, affinant de sa douce lueur l’aspect des portes grossièrement fortifiées. Des soldats du Nizam nous présentent les armes, et les sons cuivrés d’une musique militaire qui joue au loin, nous apportent l’assurance qu’ici, comme partout, l’Angleterre a des forces, des canons, des pouvoirs ; toutes nos appréhensions de dîner, de coucher, sont dissipées par cette fanfare.

Le Gouverneur, placé par le Nizam à Aurengabad, nous témoigne, lors de notre visite, une courtoisie toute mahométane. il nous retient à dîner et veut nous faire visiter la ville. Aurengzèbe le Moghol, dont le fanatisme hâta la chute de l’empire de ses fils, est enterré en ces lieux.

Ce puissant et farouche sectateur du Coran dort son dernier sommeil, oublié au milieu de la désolation du Dekkan, loin de Delhi d’où il faisait trembler l’Inde, et loin d’Agra qu’il avait choisie pour champ de repos. Sa tombe s’effrite et nul ne songe à relever ses ruines. Le jardin qui l’entoure a été employé par un babou consciencieux, à des essais de culture potagère. Des vignes, des pêchers s’appuient aux pierres énormes du monument impérial ; des choux, des fraises, de simples et bourgeois légumes croissent dans la cendre de ce despote sanguinaire.

Il semble que parfois, il doit rougir de haine, sous le marbre qui le couvre, en voyant les efforts tentés, pour améliorer le sort de cette race indoue, qu’il eut anéantie si Allah n’avait, par une