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L’Inde Portugaise

sité naturelle à sa race, il s’avance et, dans un anglais pompeux, fleuri, plein de circonlocutions, il nous prie de lui expliquer notre présence en territoire portugais sans passe-ports et sans certificat médical attestant que nous n’apportons ni la peste, ni le choléra. Nous ne devons pas ignorer, dit-il, que les voyageurs venant de l’Inde britannique restent en quarantaine à Collem, la première ville que nous allons trouver dans une cinquantaine de milles. Lui, ce Sancho Pança, grotesque représentant de l’autorité portugaise, aurait la prétention de nous détenir ici jusqu’à l’arrivée d’un médecin qu’il irait chercher au trot de sa monture épuisée… Collem, 50 milles ! c’est tout ce que nous voulions savoir. Nous voilà partis, malgré le flux de commentaires effarés du clerc et les gestes menaçants du soldat (car c’est un soldat), qui tient étroitement embrassé son inoffensif mousquet… La route descend en lacets étroits, aux angles si brusques que plusieurs fois il faut reculer la machine à la main pour ne pas nous exposer par le moindre mouvement mal calculé à être précipités dans le torrent qui bouillonne à quelques centaines de mètres en dessous de nous, dans la vallée. Nous marchons sur un véritable lit de pierres ; il en est d’énormes formant de petits îlots, autour desquels les pluies torrentielles des moussons annuelles ont enlevé la terre, creusant des ornières, des trous remplis de quartiers de rocs aigus ; les ressorts bondissent, les freins sont serrés à bloc, les phares s’éteignent et le chauffeur, une des lanternes à la main, marche devant la machine indiquant à mon frère les passages praticables entre les éboulis de rochers. Les hauts talus qui dominent le chemin emplissent la nuit de l’arôme résineux des cèdres et du bruissement des feuilles de bouleaux dont les troncs serrés luisent au clair de lune comme de l’argent neuf. Une file de bûcherons attardés glisse le long du ravin, mais c’est en vain que nous tenterions de les arrêter, ils fuient rapides et muets effleurant à peine le sol de leurs pieds nus. Un brouillard dense monte lentement du fond de la vallée, son floconnement s’enroule autour des arbres et prête des formes distordues à toutes choses. Subitement, la lueur vacillante de la lanterne disparaît, un cri d’horreur retentit, dominant le bruit sourd d’une chute de corps humain entraîné par les gravats. Pendant que, terrifiés, indécis, nous cherchons vainement à percer la fragile muraille de brume des rayons d’une lampe électrique portative, une brise plus violente s’élève, la lune voilée de nuages gris se dégage ; nous commençons à distinguer vaguement une crevasse béante qui coupe la route sur un espace de cent mètres. Dans le fond de cette profonde tranchée git le chauffeur, angoissé, gémissant, mais conservant intact l’usage de ses membres meurtris. Un verre de whisky le réconforte et il est