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À Travers l’Inde en Automobile

en nous faisant signe d’arrêter. Enfin, nous allons savoir où nous sommes, et surtout où nous allons. Le bon homme toussote, crache par terre pour s’éclaircir la voix et en une langue inconnue nous fait par trois fois une sommation magistrale, à laquelle nous ne répondons que par un accès de rire débridé. Il nous observe sans férocité, mais avant de recommencer son triple appel à notre entendement, il arme son fusil et nous met en joue.

Mon frère, d’une paire de taloches, l’envoie rouler parmi les buissons, tandis que l’arme confisquée demeure comme un trophée aux mains du chauffeur. La malheureuse sentinelle se relève péniblement, sa maigre carcasse osseuse frissonne de terreur, ses dents claquent comme des castagnettes, il se traîne à nos genoux, suppliant, désespéré, nous adjurant de lui rendre son fusil, il s’humilie, il rampe, de gros sanglots tremblent dans sa voix et des larmes jaillissent de ses yeux, mornes, comme ceux d’un chien battu. La douleur du pauvre homme paraît si sincère, que nous nous laissons toucher. Il s’agit de savoir en quelle langue nous allons l’interroger ? L’Anglais, il n’y faut pas songer, reste l’Urdu et l’Hindoustani ? mais en vain, il ne comprend rien ; l’angoisse qui se lit encore sur sa physionomie décomposée, achève de paralyser ses facultés, il ne saisit même pas la signification des gestes, il reste ahuri, abasourdi, plus mort que vif. Peu à peu il paraît reprendre confiance et se dirige en courant vers une cabane que nous n’avions pas aperçue ; il revient muni d’un petit livre qu’il me tend timidement. La couverture en maroquin écorné, atteste une usure quotidienne, les premières pages manquent, mais en le feuilletant, je reconnais vite un livre de prières catholiques en portugais. Le dernier feuillet déclare que le livre a été imprimé chez José-Maria Diaz, à Pangim. Enfin, voilà une indication, un nom propre, celui d’un bourg important, sans doute, où nous trouverons peut-être des sodas et des lits.

L’indigène étudie anxieusement nos physionomies, il secoue la tête avec tristesse, il s’exclame, montrant tantôt la route par laquelle nous sommes arrivés, tantôt la vallée profonde et silencieuse à nos pieds, il m’a repris le missel et, lentement, son doigt crasseux souligne certains mots dans le texte, les assemblant évidemment pour en faire une phrase destinée à nous expliquer sa conduite. À ce moment, un secours linguistique inattendu se présente à nous sous les traits d’un métis bedonnant, la face bouffie et graisseuse, qui chemine à petits pas sur le dos d’un âne rétif. Il n’attend pas que nous réclamions ses services ; avec l’obséquio-