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L’Inde Portugaise


VERS GOA, 2 FÉVRIER.


Lors de notre départ de Bombay la saison s’avançait, maintenant l’hiver vient rapidement, dépouillant les bois de teck de leurs panaches blancs, ombrant d’or et de pourpre les canelliers et les poiriers du Japon. Les feuilles jonchent la route solitaire que traverse parfois une antilope apeurée. Les villages s’espacent, deviennent plus rares, plus pauvres, à mesure que nous approchons des frontières de l’Inde Portugaise. La jungle est silencieuse ; les grands fauves en ont été exterminés et les êtres inoffensifs qui s’y cachent, n’osent affronter ni la vue, ni le bruit d’une automobile.

Parfois, dans une coupée de sandals et de rhododendrons, nous apercevons des coolis nus occupés à abattre quelques arpents de forêts, ils suspendent un instant leur travail, inquiets, anxieux, suivant d’un œil dilaté par la terreur, l’apparition fantastique qui disparaît dans un tourbillon roux de feuilles mortes. Un torrent, dont les flots verdâtres disparaissent sous les branches des arbustes pleureurs, se brise sur des galets polis et le chauffeur prétend avoir distingué parmi la blancheur écumeuse des remous, des fagots, des pièces de bois équarries, grossièrement liées ensemble, indication d’un camp de flotteurs que nous espérons atteindre avant la nuit, pour nous renseigner quant à la distance du prochain hameau et nous informer de l’état de la route. Nous sommes passés devant une hutte en planches, ornée d’un grand écriteau déplorablement barbouillé de lettres gigantesques « British last Post of Custom’s Office » (dernier poste de douanes britanniques), mais rien, si ce n’est la disparition des bornes kilométriques et des poteaux télégraphiques, n’indique que nous foulons le sol portugais. Le soleil s’est couché brusquement dans une explosion de flammes : l’horizon s’obscurcit, les cartes deviennent inutiles depuis que nous sommes sortis de l’Inde anglaise. Toute civilisation cesse et il ne faut compter que sur notre propre habileté pour nous procurer gîte et repas.

Après avoir monté une pente rapide et rocailleuse, nous arrivons au sommet d’une petite colline, sur un vaste plateau couvert d’arbustes odoriférants. Un indigène vêtu militairement d’un ceinturon de cuir, d’un pantalon de drap bleu et d’un casque solaire, monte une garde inutile dans ce désert, assis sur un bloc de granit rouge. Il caresse doucement de la main une crosse d’espingole qui date sans doute du temps d’Albuquerque ; il la brandit majestueusement à nos yeux surpris