Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.
194
Un Cimetière


BOMBAY, 4 JANVIER.


À Bombay, l’on a une distraction particulière, celle de voir disparaître le corps humain par des procédés différents : la peste, le choléra sévissent constamment dans les bazars, et la mortalité indigène contribue à entretenir un spectacle quotidien, émouvant parfois, aux bûchers indous de Queen’s Road et aux « Tours du Silence », le cimetière Parsi, accroché au flanc d’une colline qui allonge dans la mer la pointe extrême de la presqu’île de Bombay, c’est un parc, embaumé de gardénias et de roses, dont les allées sablées conduisent aux blocs de maçonnerie carrés et blancs, où pourrit la chair de ce qui fut l’humanité Parsi. Les vautours, par milliers, montent une garde hideuse, aux rangs pressés et voraces, sur la crête des murs. Parfois, d’un vol lourd, appesanti par son sinistre fardeau, l’un d’eux s’élève du centre de ces sinistres cubes, et les yeux agrandis, effarés par la vision brutale de cette fin de la chair, le suivent avec angoisse. L’on ne peut visiter l’intérieur des tours, mais un guide Parsi nous en explique l’arrangement, très simple : une plateforme circulaire en marbre, divisée en trois zones, hommes, femmes, enfants ; les petits les premiers, les plus près du trou du milieu, où, lorsque les oiseaux auront dévoré tout ce qui reste de la fragilité humaine, s’entasseront les os frêles, les squelettes rongés, la poussière des êtres.

Parfois, le cri rauque des paons orgueilleux, le pépitement des perruches se mêlent au lugubre appel des oiseaux de proie, le murmure des flots tranquilles domine le croassement des corbeaux, les senteurs de la riche et puissante nature orientale embaument ce charnier et la brutalité de la mort atténuée par la caresse de la nature ne laisse plus dans l’âme qu’une ineffaçable impression de grandeur macabre, un sentiment d’étonnement infini pour ce rite, par lequel les Parsis disposent du corps, ce don de Dieu, que nous dévêtons au seuil de l’inconnu, ne conservant que l’âme intangible que les vautours ne dévorent pas.

Les Parsis, caste dominante à Bombay, sont des émigrants de l’Iran, chassés de leur pays par le prosélytisme musulman et établis sur toute la côte de Gujarat et de Malabar. Boutiquiers dans les moelles, les Parsis sont exclusivement commerçants, et certains ont amassé dans cette profession des fortunes de plusieurs