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Un Mariage Katti

scène finale. Un gaillard gigantesque aux yeux féroces, l’ennemi, est entré en scène ; les hommes se coulent l’un vers l’autre ; ils se pourchassent, se joignent, s’étreignent ; finalement, l’adversaire tombe à genoux, terrassé, abandonné à ses amis qui l’emportent. Des taches de sang en grandes plaques humides collent sur le corps ruisselant du nègre : ce n’était plus un jeu, dans la malicieuse ivresse d’une liqueur vineuse, le « darrou », son compagnon, l’a frappé plusieurs fois, avant qu’il fût possible de lui enlever son couteau, pendant que tous les yeux se tournaient vers un admirable cheval Katti qui marche en tête du cortège.

Il s’avance, dressé sur les pieds de derrière, l’œil enflammé, les naseaux frémissants, sa longue queue balayant le sol, monté par un cavalier dont les formes minces et nerveuses font corps avec lui, un Radjput, semblable aux dieux de la légende, maîtrisant les coursiers fantastiques des épopées védiques. Les serviteurs viennent ensuite, sur deux rangs, portant d’immenses corbeilles pleines de melons, de fruits, de légumes ; ils précèdent les suivantes qui ont été recevoir la fiancée et seront ses esclaves, les confidentes de sa vie, ses moyens d’intrigue. Elles sont entassées dans de vulgaires charrettes à bœufs et accompagnent le cahotement de chants nuptiaux lente et criards.

Derrière elles, une foule bigarrée, colorée, se bouscule à la lueur des feux de Bengale. Les gerbes d’étincelles des bombes, les fleurs des feux retombent en pluie étincelante devant le marié, qui suit à cheval dans tout l’éclat de son turban d’or, le front chargé d’une frange d’émeraudes, l’air méchant et ennuyé.

Le char de mariage, une plateforme immense traînée par quatorze bœufs, aux cornes dorées ou argentées, roule lourdement sur le pavé de cailloux pointus. Le père du prince, les parents, les amis des mariés y ont pris place, assis dans des gondoles d’argent ou des chaises d’écaille soutenues par des dauphins. Ils fument leur hooka d’or, les yeux fixés sur les bayadères qui évoluent lentement à l’autre extrémité du char.

Parfois, le pas somnolant des ruminants s’arrête : le peuple alors se masse autour des Princes pour recueillir, après la danse, les fleurs et l’argent qu’ils laissent tomber parmi la foule. Lorsqu’ils passent devant nous, le Takoor fait un signe et tous les princes descendent pour venir nous saluer. L’on apporte des colliers de rubans d’or et de jasmin avec du bétel et des aspersoirs d’eau de roses. De sa main ridée, le vieux souverain nous fleurit et nous parfume. Puis il fait demander du champagne et, après avoir bu, il me tend en signe d’honneur son verre encore plein… Très discrètement, j’imite M. R… qui, dans la nuit complice, a vidé le sien par dessus la balustrade d’un toit désert.