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À Travers l’Inde en Automobile

d’eux recule jusqu’à l’entrée de la route. L’autorité de M. R… ramène le calme non sans peine et nous arrivons tant bien que mal à l’entrée du palais où des sièges d’honneur nous sont réservés.

Toutes les castes sont confondues, mêlées dans les rangs pressés du peuple accroupi sur la grande place. Des laboureurs, vêtus de toile grise, de turbans souillés des sueurs d’un labeur ingrat, sur la terre immuablement sèche et ennemie, s’adossent aux maisons en groupes silencieux, craintifs. Un sabre orne la ceinture des Rajpout, les cultivateurs s’appuient des deux mains sur de longs bâtons. Des jeunes gens, bien découplés, fument en soufflant les cigarettes par le bout allumé. Quelquefois une draperie prise dans toute la largeur, jetée sur l’épaule, la tête, d’un geste lent et digne indique qu’il fait frais : la saison d’hiver. Des femmes, rapides et muettes, traversent la scène, violemment apostrophées par un garde champêtre indigène, gonflé d’importance, grâce au costume de drap bleu déguenillé qui serre son torse débile. Il n’y a parmi eux ni la curiosité, ni le remous d’une foule latine, pas plus que la grossièreté d’une foule saxonne ; c’est une foule patiente, indolente, qui sait qu’il y en aura pour tous, que cela viendra, que rien ne presse… une foule qui s’amuse ou s’ennuie en silence.

Subitement éclate au bout de la rue une sonnerie de pipeaux aigrelets ; les gardes arabes du zénana débouchent d’une ruelle avec des exclamations gutturales en leur langue native. Ils s’avancent, forment un demi cercle et commencent une danse fantastique et imagée : la poursuite d’un ennemi à travers les grands sables roux. Le danseur a un fort mélange de sang nègre. Ses dents luisent comme des morceaux de verre. Il se courbe, serpente, se redresse avec des cris aigus, il touche terre des deux mains, s’agenouille, se met aux aguets, sur un rythme pressé, haletant, saccadé, qui enlève la respiration, tient suspendu à ses pas. Les autres battent des mains en cadence. Parfois, l’un d’eux entre dans la danse, alors le premier danseur le mène en rond le tenant par la main : il y a des défis, des mépris, des passes de bras, de mains, comme à la bourrée ou au fandango. Un petit vieux ratatiné, fluet, délicat, danse comme une porcelaine de Saxe. Son pas est menu, semblable à celui des dévotes proprettes de vieilles villes de provinces, courant à l’église. Il effleure à peine le sol et son grand turban vert, la seule chose de lui qui soit d’une proportion volumineuse s’agite gracieusement, marquant la mesure. Les porteurs de torches ravivent les flammes en versant sur l’étoupe de l’huile tirée d’un bidon qu’ils portent suspendu au cou ; un rougoiement fumeux monte, éclairant vaguement la