Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/196

Cette page a été validée par deux contributeurs.
184
Un Mariage Katti

Jasdan est un village de terre ; les maisons basses bordent la route, collées l’une à l’autre, grises, pauvres, toutes semblables, sans fenêtres et sans porte, composées uniquement d’une vérandah carrée, posée sur un socle de boue.

Le palais, une ferme fortifiée de tours rondes crénelées et d’un mur d’enceinte coupé de portes en teck massif, occupe le pourtour de l’unique place de la cité. Des souhaits de bienvenue, des sentences flatteuses s’étalent sur les transparents rouges suspendus aux toitures des huttes, sur les banderoles de papier et d’étoffe qui s’enroulent le long des pilliers d’argile des arcs de triomphe. À l’entrée du palais, dont l’accès est libre à tous aujourd’hui. une foule de mendiants, de femmes babillardes et rieuses, d’enfants coiffés d’or, se presse, les yeux avides, les mains tendues vers les délices culinaires qui saturent l’atmosphère de l’odeur grasse des fritures.

Pour commémorer le rapt des fiancées de jadis, que les Katti enlevaient à main armée, le marié part au crépuscule, accompagné de ses frères, de ses amis, en une chevauchée guerrière, dominée par le bruit des sabres s’entrechoquant, le cliquetis des lances, au son des cris inarticulés d’une foule ravie. Il est allé à la conquête d’une « rani » pour l’enlever de force, la ravir, l’emporter défaillante en travers de sa selle, l’enfermer dans son castel de Jasdan, derrière les tours rondes et les portes garnies d’une cuirasse de pointes de fer, contre lesquelles la lourde masse des éléphants se meurtrira.

Là-bas, dans un village de la plaine poussiéreuse, il va s’unir à une enfant qu’il n’a jamais vue, et après la cérémonie religieuse, accomplie dans le zénana de la jeune fille, ils doivent revenir en gala à Jasdan.

C’est cette procession avec son déploiement de richesses et d’usages, que tous attendent impatiemment. Dès huit heures on vient nous chercher au camp. La population de la ville a quadruplé en quelques jours, il est presque impossible de se frayer un passage à travers la foule joyeuse et empressée, qui encombre les ruelles étroites, Le « syce » son fouet de crin blanc à la main, court en tête des chevaux, criant ; « bat chu » ( prend garde), ceux-ci heurtent du naseau quelques femmes effarées, qui tombent dans les fossés cimentés par lesquels la route est séparée des maisons ; le cocher plaisante et rit avec les gens installés sur les toits de roseaux ou de zinc, des pétards éclatent sous les roues, des voitures portant des princes invités croisent la nôtre : les « ghariwalla » discutent, s’expliquent, chacun veut avoir la préséance, car deux équipages ne peuvent passer à la fois ; il faut que l’un