oncle et emmenèrent captive Ranik Devi qu’ils autorisèrent cependant, à devenir « sutti ».
Les travaux d’art militaire qui ont pu exister sur ce petit plateau, où une mosquée grise achève de s’effondrer, n’ont laissé pour témoigner de leur force guerrière que quelques murs en pierre sèche. Des paons chatoyants se promènent fièrement la queue déployée, entre ces débris d’une gloire que l’on crût immortelle, et leur désagréable cri ajoute à la morne tristesse de ces lieux. Deux puits carrés, d’une profondeur insondable, contiennent encore de l’eau que l’on allait puiser en descendant des escaliers circulaires creusés entre les parois des puits et les pentes de la colline.
Pour donner raison à la légende qui attribue l’exécution de ce travail à des jeunes filles captives, détenues par un roi de Junaghad, semblables à des âmes libérées, des milliers de colombes blanches viennent voltiger au-dessus de l’abîme, et emplissent de leurs tendres gazouillements les profondeurs sombres.
Un parent du Nabab, le Wazir Bahubdin, tient à Junaghad une cour, dont la splendeur égale celle du souverain. Il nous fait prier de venir le voir un soir à la fraîcheur, dans un jardin de plaisance qu’il possède non loin de la cité.
Pendant trois règnes successifs, Bahubdin a été le véritable Nabab de Junaghad ; jouissant de tous les pouvoirs, agissant à sa guise. Il a toujours subi une influence inconquérable, celle de sa femme : une « purdanashin[1] » dont les mains, dit-on, sont teintes du sang de plusieurs meurtres politiques. Il me plairait infiniment de voir cette princesse extraordinaire et je lui envoie une écharpe de soie pour disposer favorablement son humeur altière. Mais elle me fait remercier simplement, s’excusant de ne pouvoir me recevoir, à cause de son grand âge.
Le Wazir, désolé, s’ingénie à me faire oublier cette déception. Il nous offre une fête dans ses jardins et réunit tous ses officiers, ses amis, ils revêtent leurs plus beaux costumes, leurs bijoux les plus précieux ; à la lumière des torches de résine, dans ce décor d’ifs et de buis taillés, nous vivons un conte des mille et une nuits.
Des combats de béliers et de singes, un ours présenté en liberté, égayent la compagnie. Seul, le « Mullah », le prêtre favori du Wazir ne prête aucun intérêt au jeu, il déteste les européens et son regard perçant ne quitte pas nos visages, cherchant à y déchiffrer nos âmes.
- ↑ Femme voilée, littéralement une recluse.