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À Travers l’Inde en Automobile

Celui qui a respiré l’air vif du Girnar, salué d’un regard ému ces pics éclairés de rayons lumineux, possède la paix et l’impeccabilité pour le reste de ses jours périssables.

Nous dépassons un couple de « mehter » (égoutiers), une des castes les plus méprisées. Ils montent péniblement les escaliers, leurs ressources ne leur permettant pas le luxe du doolie. La femme serre contre sa poitrine un informe paquet de haillons : un enfant, qu’elle dépose sur une pierre sculptée en relief de petits pieds. C’est un endroit saint, à la vertu curative.

Jadis, une femme du Marwar, venant implorer la déesse, mit au monde un enfant dans cette effroyable solitude ; elle mourait de faim, et nul secours ne pouvant lui parvenir, elle s’adressa à la divinité qu’elle adorait. Répondant à sa suprême prière, Durga fit jaillir de la montagne des flots de lait et de miel dont le Brahme, notre compagnon, me montre les traces en me désignant les vagues lignes blanches qui zèbrent les parois lisses. Au sommet du premier pic, les buissons bas fleurissent de végétation parfumée les terrasses des temples Jaïns.

De triples enceintes de pierre entourent le chœur où se cachent les statues ; de larges cours s’étendent entre les murs et servent de caravansérails aux fidèles.

Il y règne cet étonnant mélange de réserve et de familiarité, ce contraste de la richesse des habits et de la simplicité primitive des habitudes quotidiennes qui sont les caractéristiques de la vie indigène. L’on y voit des marchands dont les femmes se parent d’une valeur de plusieurs laks de roupies de bijoux, se nourrir d’une poignée de riz, manger avec les doigts, tout comme le pèlerin pauvre qui fait sa cuisine derrière un pan de muraille ruinée ; ces recluses dont on chercherait vainement à surprendre les traits, ne répugnent pas à camper pendant plusieurs jours en public, ces hautes castes que le contact d’un Sudra souille, couchent par terre au seuil des temples, sans se préoccuper des coolies qui s’étendent dans les coins.

Les prêtres nous font descendre dans la crypte d’un des sanctuaires. Elle est si basse et si étroite qu’une seule personne à la fois y peut à peine pénétrer. Deux ou trois marches glissantes et humides conduisent à ce trou obscur, éclairé par une veilleuse d’huile de cocotier qui brûle au pied d’un tirtankar disproportionné, en or massif, dont les membres précieux transpirent, au dire d’une légende fort accréditée en Kattiawar.

Jadis, les lèvres du dieu distillaient « l’Amritphal », l’ambroisie, le nectar des dieux, mais nous avons beau scruter du regard les ténèbres, tâter le corps de la statue, nos doigts ne rencontrent que le métal froid et parfaitement sec. Seulement, entre