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À Travers l’Inde en Automobile

loppe la base des six pics consacrés aux divinités Indoues et Jaïns et s’élèvent à 200 mètres d’altitude au-dessus des plaines stériles du Kattiawar.

Les porteurs noirs, dégoûtants, ont en main des bâtons fourchus sur lesquels ils reposent la barre des doolies en changeant d’épaule ; un faux pas, un geste mal calculé, nous précipiterait dans le vide béant pour y être dévorés par les oiseaux voraces qui tourbillonnent en sombres essaims dans la vallée. Les pentes de rocs ardoisés menacent la nue comme de gigantesques falaises ; des blocs, énormes s’avancent en voûtes, en encorbellements ajourés, striés, découpés par les pluies. À un coude du sentier, une passe de rochers barre la vue, cachant l’horizon et ne laissant apercevoir qu’un coin de ciel bleu qui paraît s’encadrer dans cette grandiose porte naturelle.

La route se resserre et semble devoir se terminer, en tombant dans un gouffre mugissant, insondable ; puis, au contraire, nos yeux surpris se reposent avec plaisir sur une tonnelle de lianes sauvages dont les tiges enlaçantes couvrent d’un dôme de verdure un petit plateau. Un ficus aux belles branches pleureuses abrite de l’ardeur du soleil un « jogui » nu, gris de cendres et de boue, frotté de vermillon, qui s’immobilise dans la fixe contemplation d’un petit feu, sur lequel rougissent des pinces et de longues aiguilles qu’il s’enfonce dans les chairs moyennant une roupie. Notre guide le salue humblement du titre de « Maharaj » (frère), il lui demande son « Nath » (ordre d’ascètes), sa caste. Le saint veut bien répondre. Pour nous parler, il s’habille ; il détache les cordes de jute qui retiennent sa longue chevelure et les tresses de fil grossier mêlées à ses mèches d’ébène lui tombent jusqu’aux genoux comme un manteau.

C’est un shivite qui fait du dieu Shiva le maître du monde, il nous invite à explorer sa demeure, une cavité dans le roc où l’on a peine à se tenir debout. Des peaux de daim, de léopards lui servent de couche, des colliers étranges en perles de bois, en coquillages, en fleurs séchées, en pâte de santal, sont accrochés aux parois pêle mêle avec des hardes incolores, des oignons et un bol pour recevoir les aumônes. Dans un coin mystérieux d’ombre, une torche de résine brûle devant une idole qui paraît toute rouge, mais dont il nous prie de ne pas approcher. Nous le laissons debout sur les marches de son domaine, dans une attitude de commandement et d’extase.

Les cris de foi et de dévotion, des pèlerins qui reviennent sanctifiés, nous annoncent l’approche des premiers temples ; c’est un défilé constant d’hommes, de femmes, d’enfants, habillés de soie verte, jaune, de mousselines blanche et rose, coiffés de