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À Travers l’Inde en Automobile

des vagues murmurantes, à la place où nous sommes, me dit notre guide, à l’ombre des feuilles de bétel nées de la poussière détestée. Ils en mangèrent, s’enivrèrent, se battirent entr’eux d’une façon si atroce que le sable n’était plus qu’un tapis de chairs mutilées, un lac de sang. Krisna seul, son fils et son conducteur de char échappèrent au carnage ; derniers survivants de la princière race de la lune. Krisna, courbé par son immense douleur, exténué de fatigue, s’éloigna des deux autres pour se reposer à l’ombre d’un ficus dans la plaine. Alors le chasseur Bhil qui avait ramassé le morceau de fer acheva de réaliser, instrument inconscient, la prédiction des Brahmes vindicatifs. Au sommet d’un petit temple que la piété des fidèles entretient encore de nos jours, il aperçut une forme vague ramassée au pied d’un arbre ; il choisit sa flèche la plus meurtrière, le sort guidant sa main, il tire, transperçant le dieu folâtre et inconstant pour lequel moururent d’amour les laitières de Muttra. Un rejeton de l’arbre qui abrita Krisna expirant se dresse solitaire dans la plaine poussiéreuse ; autour de son tronc énorme, les pèlerins viennent encore apaiser par les cérémonies de Shrad (funéraires) l’âme des ancêtres.

À l’endroit où les cendres de Krisna furent livrées aux flots bourbeux, un carré de murs enserrant un rameau desséché commémore le fait. Des escaliers, étroits comme une bordure de pierres, descendent jusqu’à l’eau calme, verte de mousse flottante, dans laquelle se jouent des poissons qui se rassemblent à la voix des « Joguis » accroupis sur les marches où ils prennent leur repas. Ils sont jeunes et très beaux les Ascètes. L’un est un Brahme Gaur, de l’Inde du Nord, adorateur de Shiwah, le cou ceint d’un collier de rudrack, les bras chargés d’annaux en fer, de sonnettes, il est drapé d’une peau de tigre, et tout en grignotant des graines frites, il chantonne des hymnes religieux tourné vers la rivière divine.

Le plus jeune a des yeux ardents, des dents éblouissantes, un triple rang de talismans aux chevilles, au cou, sur le front ; il a tout quitté pour se livrer aux pèlerinages sans fin, à la mendicité religieuse, aux austérités folles, extravagantes. Il tourne vers moi son regard flamboyant, me montrant le ciel, la terre, l’espace, et me disant : « Takor, Takor » (Dieu, Dieu). Il frémit d’ivresse religieuse, ses membres se tordent comme en un spasme, il retombe anéanti, les lèvres agitées d’une prière inconsciente. Un autre est vieux, drapé d’orange. C’est un « Sanyasi », qui ayant vu le fils de son fils revêtir le cordon sacré, a tout abandonné pour arriver sur terre à la connaissance absolue de l’Être-Suprême qui envahit tout, pénètre tout, mais que seul « Yoga Bias », l’ascétisme, peut faire trouver. Il vit depuis deux ans dans une hutte de boue avec