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À Travers l’Inde en Automobile

À l’extrémité de cette nécropole, une ruine circulaire à ciel ouvert, jonche le sable frais du rivage de moëllons disjoints, de chapiteaux sculptés. C’est le temple merveilleux dont les piliers décapités ne supportent plus que des nids de mouettes et de pigeons sauvages. L’on distingue encore sur les colonnes extérieures des torses de dieux, des membres de déesses, les chevauchées guerrières des fondateurs, les faces hideuses des démons, l’éternel combat du fort et du timide, tout cela usé, déformé par les siècles et les intempéries de façon à n’être plus pour ainsi dire que le squelette des finesses primitives.

La ville de Sonmath Pattam n’est guère qu’un village de murs croulants, de rues étroites, pavées de pierres blanches, où vit une population mixte d’Hindous et de Mahométans, dont l’inimitié née il y a mille ans n’est point encore complètement apaisée.

Nous passons à travers les portes cloutées d’une cuirasse de crocs forgés, sous les arches couvertes de plantes grasses, entre les maisons, par delà lesquelles scintille la ligne verte de la mer, dont la voix monotone berce le repos de la cité morte. En sortant de Pattam, au confluent des rivières sacrées Sarswati et Hiran, nous nous arrêtons au Ghat crématoire abandonné où furent incinérés les restes mortels de Krisna : l’incarnation du dieu Vishnou, la plus populaire parmi les jeunes gens, les femmes et les simples du peuple. Krisna, d’après la légende, naquit en Katiawar, de la race lunaire : les Yadous, perpétuée de nos jours par le Jam de Jmmagar, et le Maharaja de Jessalmeer ; Il y bâtit Dvarka, l’asile des justes dont il quitta le rivage odorant pour secourir de ses armes célestes les Pandous dans cette lutte cyclopéenne racontée en sanscrit par le poème épique Maharatta. Enfin, c’est ici, sur les escaliers de marbre, que les ficus balaient de leurs fleurs luisantes, qu’il dépouilla la forme humaine pour retourner parmi les dieux, après avoir assisté, impuissant, à la destruction presque totale de sa race. Krisna, dit le naïf conteur, avait eu d’une de ses 16.000 femmes, Jambuvatti, un fils Samb, beau, intelligent et indomptable. Un jour que l’enfant s’amusait sur la place ensoleillée de Dvarka avec ses petits compagnons, ils virent passer des Brahmes graves et recueillis, allant offrir des noix de coco et des prières à un temple voisin. Aussitôt leur vint l’idée mutine d’ennuyer les sages en mettant à l’épreuve leurs pouvoirs de prophétie. En un tour de main, Samb est habillé en femme, soigneusement voilé, paré de bijoux et amené aux « richis » pour qu’ils prédisent quel sera le sexe de l’enfant que la femme mettra au monde. Les saints hommes, irrités par cette irrévérence et sans pitié pour le jeune âge de leurs persécuteurs, répondirent, en les maudissant, que la femme serait mère d’un