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Les Pèlerinages Célèbres

nectar divin, des fleuves de lait et de beurre fondu. Cent mille danseuses se courbent devant le lingam, au son des conques, des tam-tams et des fifres aigrelets, tandis que la foule immense adore silencieusement.

L’un des plus célèbres pèlerinages de l’Inde est né. Puis viennent les jours durs des destructions successives, par la volonté des dieux et la main des hommes. La légende se tait, l’histoire ne parle pas encore, jusqu’au jour, en 1001, où, dans la poussée des races, un torrent d’infidèles, robustes montagnards du Kaboul quittent leur aire de Gazni et sous la conquête de Mahmud le Bhut Shikan, l’iconoclaste, la vengeance d’Allah, ils se ruent sur la cité et ses dieux. Comme l’indiquent les monceaux de galets polis qui recouvrent leurs restes depuis près de dix siècles, les victimes de cette lutte fanatique sont tombées en moissons dans les plaines caillouteuses, semées de touffes d’alfa, que la route de Véraval à Pattam coupe comme un ruban de poussière.

Nous allons à pied à travers ce vaste cimetière, rongé par la mer, dont les vagues tranquilles clapotent à marée haute contre les grossières tombes, comme pour calmer encore d’une caresse, l’angoisse de ces musulmans farouches qui, la bataille gagnée, se couchèrent sur le sable brûlant et pleurèrent de nostalgie au souvenir de leurs fraîches vallées, toutes roses de fleurs de pêchers effeuillées. Sous la coupole à demi-effondrée, un trou béant marque la place où s’élevait la pierre sainte, profanée par les sectateurs du Coran. Ils entrèrent à cheval dans le sanctuaire et saccagèrent de leurs longs glaives recourbés tout ce qui rappelait l’idolâtrie abhorrée qu’ils avaient résolu d’extirper. Les Brahmes terrorisés firent offrir à Mahmud les trésors cachés du temple, s’il voulait arrêter la rage destructrice de ses soldats ; un instant, la cupidité fit vaciller ses officiers qui le pressaient d’accepter, mais lui, « la verge d’Allah », fier de la mission dont il se croyait investi, comme tous ceux de cette magnifique race musulmane, amoureux d’un beau geste, répondit noblement :

« Je suis un destructeur, non un marchand d’idoles, je suis venu pour abattre, non pour vendre. » Le soir, le drapeau vert du prophète flottait pour la première fois sur les débris de l’adoration hindoue, présage de cette lointaine conquête qui devait un jour faire régner sur l’Inde entière la splendeur des grands Moghols. Un Brahme nous sert de guide, et en nous racontant tout cela, sa voix vibre d’émotion religieuse dans laquelle perce une grande tristesse, la tristesse du découragement, en songeant à l’effort qu’il faudrait que fasse sa nation pour redevenir la race du passé.