Page:Faydit de Terssac - À travers l’Inde en automobile.djvu/179

Cette page a été validée par deux contributeurs.
167
À Travers l’Inde en Automobile


LES ÉTATS INDÉPENDANTS DU KATTIAWAR.


En quittant les possessions du Gaïkwar, quelques heures de mer sur un petit steamer encombré de passagers Gujratis nous mènent de Sorath à Verawal, le port de l’État musulman de Junaghad dans la presqu’île de Kattiawar, l’antique Shaurastra. Un Brahme nagar, officier du port, premier magistrat de la ville, vient nous chercher à bord en nous souhaitant la bienvenue au nom du Nabab. Une voiture qui nous attendait nous entraîne au galop de deux chevaux pies, à travers les ruelles de la cité, qui s’étage en gradins blancs sur la dune, dominant de ses faîtes crénelés l’immense nappe bruissante que les lourds bateaux du golfe Persique fleurissent de voiles cramoisies.

Nous avons abordé enfin la terre classique de la légende hindoue, de la fable monstrueuse, le sol sacré qu’ont foulé les dieux et les héros plus grands que les dieux mêmes.

En Kattiavar, il n’y a pas une montagne, pas un lac qui ne soient élevés, creusés, pour abriter ou désaltérer une divinité, envoyée par le grand Brahme comme secours ou punition aux humains. De Dvarka, la cité de Krisna, enguirlandée de mer, jusqu’à la colline de Shatrunja, consacrée aux Tirtankars des Jains depuis Sihor, la patrie des cinq cents Brahmes, jusqu’à Anhilwara Pattam, la capitale de la divine race des Cholunkee, chaque ruine est vivante, chaque pierre crie la foi forte des siècles passés.

Là-bas, à quelques kilomètres de nous, sur le rivage moëlleux de goëmons et de lianes de mer, où s’ébattent les macreuses et les goëlans blancs, le flot baigne encore Sonmath Pattam, la grande déchue, la spoliée, dont le temple d’or fut élevé par le dieu de la lune à celui qui conquière la mort et que l’espace habille Mahadeva. Elle est exquise, la légende de ce jeune Somma, frappé par la malédiction de son beau-père, d’une maladie de langueur mortelle et traînant sa souffrance à travers les lieux saints, s’arrêtant à chaque ruisselet pour contempler sa face mourante, enfin défaillant sur cette grève aride en murmurant de ses lèvres pâlies le nom de Shiva. Malgré sa puissance, le grand dieu ne put que commuer la peine et promettre au malheureux que l’éclat de son visage demeurerait encore dans les cieux quinze jours par mois. Dans une explosion de reconnaissance, l’adolescent érige à la gloire de son protecteur un temple dont les briques sont d’or fin, les guirlandes en pierres précieuses. Des milliers de Brahmes entretiennent le feu sacré qu’alimentent des libations de