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À Travers l’Inde en Automobile


BARODA, 18 DÉCEMBRE.


On célèbre aujourd’hui une fête religieuse. Les boutiques sont fermées, les fonctionnaires en congé, une foule joyeuse emplit les rues, les places et les jardins publics. Armés de seringues d’argent, les passants s’aspergent d’eaux de senteur, de poudre rouge et bleue, dont les taches sur les vêtements blancs désignent les porteurs à la faveur spéciale de Shiva, la divinité du jour. C’est une allégresse générale et le Gaikwar a voulu nous faire participer aux réjouissances populaires en ordonnant, en notre honneur, un de ces combats d’éléphants de Baroda, célèbres dans l’étendue de la péninsule indienne.

La faveur de ce spectacle est excessivement rare, car le Gaikwar, un indépendant dont on ne commande ni les sympathies ni les antipathies, se contente généralement de recevoir en une courte et banale entrevue, les Européens qui lui sont présentés par le résident anglais. Notre titre de Français et de nombreuses lettres de recommandations des chefs indigènes, ses parents ou ses amis, ont sans doute disposé d’une façon toute particulière à notre égard le souverain de Baroda. Retenu par des affaires urgentes, il députe son frère aîné, le prince Sampat Rao, pour nous accompagner aux arènes, qui se trouvent un peu à l’écart de la ville.

Plusieurs milliers de personnes prendraient place aisément sur les murs d’enceinte, très élevés, composant un cercle unique ; le peuple a vite fait de les envahir et s’étale paresseusement au soleil comme un long serpent chatoyant.

Les couleurs vives, le rose, le mauve, le vert des turbans, l’or des bijoux féminins, l’éclat des pierres précieuses, la délicatesse mate des colliers et des tresses de fleurs blanches, se fondent et s’unissent en une immense draperie de moire changeante.

Placés dans la tribune du Gaikwar, nous dominons du regard la multitude attentive aux luttes de béliers et de coqs qui se succèdent dans l’arène et servent de prologue aux combats plus émouvants de pachydermes.

Les maîtres des bêtes rivales s’avancent et, après un salam aux invités du palais, ils lâchent chacun les concurrents, leur propriété : le choc des têtes de béliers résonne aussi bruyamment qu’un coup de fusil. De petites perruches, habilement dressées par un éducateur patient, se livrent à toute espèce d’exercices militaires, ce qui semble enchanter la foule, des cris d’approbation se font entendre, et les mignonnes exécutantes sont obligées de recommencer plusieurs fois leurs manœuvres.