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Les Sables du Radjputana

C’est une nappe irrégulière, peu profonde ; les mousses et les algues vertes y tracent des lignes moirées et des milliers de mouches d’eau la rident de petits sillons éphémères. Des paons perchés sur les murs de marbre se mirent curieusement dans l’eau tranquille. Parfois, les éboulis de rochers, des tronçons de vieilles sculptures, détachés par nos pas, roulent jusqu’en bas, effarouchant, dans leur chute, les lézards et les écureuils qui prennent leurs ébats dans les manguiers touffus.

Notre guide, un chaprasi du Maharadja, monte silencieusement, sans explications banales et inutiles. Nous visitons les cours d’audience, les salles de Durbar.

Tous ces palais sont les mêmes, l’Indou n’a pas d’imagination et une trop grande paresse de l’idée pour créer, il copie. Les zenanas seuls sont charmants : bien disposés au midi, sous les coupoles. Les miroirs d’étain poli, enchâssés dans des guirlandes de plâtre fiorituré, lambrissent les murs et les plafonds, le sol est de marbre blanc, veiné de noir, une rigole traverse l’appartement pour l’écoulement des eaux. Les grandes grilles d’argent laissent apercevoir, par delà le lac, la montagne et la route, qui se perd au loin dans les cactus géants.

Ce fort abandonné vit par les appartements de femmes, dont les formes grêles ont dû tant de fois coller leurs fronts mats à ces barrières impitoyables, pour voir cette vie du dehors, leur fruit défendu. L’empreinte de leurs pieds nus demeure sur les mosaïques parfumées, la pensée les évoque couchées dans leurs soies légères, parées comme des châsses, indolentes, passives ou intrigantes, révoltées, préparant des poisons, dont elles font encore usage, pour se débarrasser d’une rivale plus belle ou plus nouvelle.

Par des escaliers étroits, des portes secrètes, l’on pénètre dans des corridors voûtés, éclairés de loin en loin par des marbres ajourés. Des portes closes à égale distance secouent d’un frisson d’étrange curiosité, mal définie : on ne résiste pas, malgré soi l’on veut voir, entrer. Des salles basses s’ouvrent sur une cour intérieure, zenanas aussi, mais plus mystérieux, plus clos, plus isolés, zenanas de vieilles, d’abandonnées, ou zenanas de favorites plus jalousement gardées ? La tradition ne le dit pas.

Nul indice ne laisse deviner au visiteur qu’entre ces murs des yeux tendres et rieurs s’initièrent à l’histoire peinte à fresque du dieu Shiva et de sa femme Parvati, et le plan des villes saintes tracées sur les murs avec des personnages et des maisons d’arche de Noé, gardent le secret de celles qui les ont contemplés, puisant dans la religion l’oubli de leurs douleurs et de leurs amours.