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À Travers l’Inde en Automobile

taciturnes, parmi leurs cotonnades ; mais la majorité du peuple circule nonchalamment, dignement, les Radjputs, l’œil alerte, la barbe courte, partagée et retroussée, la tête serrée d’un mouchoir uni, plat comme un bonnet d’enfant. Au milieu de la ville, un lac d’eau croupissante, dans lequel se réfléchissent les murs robustes des temples dédiés à la « Mata », la déesse qui protège les Rhathors, permet aux habitants de voir sans trop de crainte arriver la saison sèche, les mois terribles, pendant lesquels le territoire de Marwar n’est qu’une nappe de sable mouvant.

La cité niche au pied du fort, l’âme et la mémoire de Johpur. Un mur crénelé de 600 mètres de long en marbre, enserre trois collines entre lesquelles une route rouge d’ocre pilé s’élève en suivant la tranchée du roc jusqu’au fort.

Un pâtre immobile se profile sur le ciel, entouré de ses chèvres rousses qui broutent l’herbe rare du plateau. La lumière du soir l’enveloppe de quelques rayons de soleil déclinants qui touchent le chaos des rochers, violets comme des asperges mûres. Et cette quiétude pastorale contraste étrangement avec l’histoire des querelles sanglantes, des ruses, des perfidies, des défenses héroïques que le fort domina. Le sang des Rathors a lavé, ennobli cette citadelle, chaque pierre est une légende, chaque empreinte un souvenir.

Ici Jodh Sing, le fondateur de la ville et ses quatorze fils assirent sur la « montagne du combat (Jodagir), ce trône puissant dont la faiblesse d’un de leurs descendants devait faire un fief d’Abkar, le Moghol, et que la valeur d’Ajit Singh devait reconquérir. Ce héros Rathor, né dans les monts glacés du Kaboul où l’Empereur avait donné un poste de généralissime à son père, qui y mourut, fut rapporté à Jodhpur dans une corbeille de gâteaux par un humble musulman qui préserva ainsi l’existence de celui que le fanatique Aurengzebe avait voué à la mort et que le poignard de son propre fils devait enlever à l’idolâtrie des Rathors à la fleur de l’âge.

La porte d’entrée du fort que l’on franchit en « doolies » sorte d’escarpolettes tressées en fibres d’aloès, donne accès dans un couloir de roc uni, d’une hauteur de 150 mètres, au sommet duquel l’ancien palais des Maharadjas s’épanouit comme une fleur. Les fondations semblent faire corps avec la haute et lisse muraille, l’on ne sait où commence la façade ni où se termine l’assise naturelle. Nées du même granit, battues des mêmes ouragans, dorées des mêmes soleils, elles se sont fondues, unifiées, même soutien et même orgueil, des mêmes maîtres.