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La Route du Chitral

pierres sèches nous défend contre le vide immense dont les profondeurs attirantes nous font frissonner. Le fort de Malakand s’étage sur une saillie de roc, perdu dans les oliviers rabougris, les ifs, et les buis sauvages. Un régiment vit dans l’enceinte ; les officiers nous accueillent très aimablement ; le Résident politique et sa femme nous hospitalisent. Au sommet du fort, au pied du mât soutenant le drapeau britannique, on domine tout l’horizon. M. G… nous montre un serpent de poussière qui descend le long du flanc aride de la chaine montagneuse et se perd au-delà des monts, dans la vallée de Swat. C’est le chemin que nous reprenons après un court repos.

Après avoir franchi une sorte de couloir à ciel ouvert creusé entre deux collines, l’aspect du pays change subitement. Les bruyères mortes dessinent une ligne rougeâtre le long de la rivière Swat, torrent de montagne, dont les flots pressés bondissent sur un lit de cailloux brillants. Les saules de ces bords évoquent des fraîcheurs de prairies, des calmes d’étangs profonds et contrastent avec les feuilles flétries des peupliers et des platanes qui sèment de taches rousses, l’immensité grise de la montagne desséchée. Il fait froid ; le temps des travaux et des moissons est passé. Les courtes charrues de bois, inutiles, sont reléguées sur les toits de roseaux des étables parmi les cannes à sucre pourrissantes ; les petits ânes rétifs, trébuchant sous les paniers de corde remplis de quartiers de rocs, ne dévalent plus en bandes indociles le long des sentiers abrupts, les maïs ne ploient plus sous les lourds épis blonds ; c’est l’hiver.

Pour se distraire durant la morte saison, le Nabab de Dier, un des khans tributaires de cette frontière, se bat contre son fils aîné. Le soir, dans le silence et la désolation des hautes cimes arides, les feux de broussailles s’allument par centaines, les flammes claires silhouettent contre les murs de boue des huttes, la haute stature des Swatis, les formes minces des femmes groupées autour d’un saint homme, faiseur de miracles, qui entraîne les volontés indécises dans le parti du chef qu’il s’est choisi. La vallée frémit au rythme dur de leurs voix inspirées ; la lutte est terrible, acharnée, sans merci ; le père et le fils ont compté leurs hommes, tous braves, avides de pillage ou de vengeance, iront à la mort hardiment. Une grande bataille est imminente. Le Gouvernement britannique, impassible, ne s’émeut pas, mais a fixé aux combattants la limite de territoire qu’ils ne peuvent dépasser sans offenser « la puissance souveraine ».

Dans le lointain, éclatent des coups de fusils, des grondements de canon, les villages paraissent déserts ; quelques femmes