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À Travers l’Inde en Automobile

tions dures et arides jusqu’au pied des premières arêtes de l’Indou-Kouch.

Des ruisselets artificiels apportent la fraîcheur et la fécondité au sol noir et plantureux qui déploie un tapis de moissons variées : l’orge, le seigle, les fourrés lancéolés de cannes à sucre, protégés des maraudeurs par des haies de cactus veinés et blessants.

Un large sentier de sable, plus doux au pas indolent des chameaux que le macadam, borde la route ; de beaux tamaris croissent dans la campagne, leurs robustes troncs se détachent sur la nudité des montagnes lointaines comme des colonnes de verdure frémissante.

Jamrood, ancienne citadelle Sik, affecte la forme d’un navire de guerre. Les officiers, au nombre de cinq, y mènent une vie légèrement monotone, malgré la proximité de Peshawer ; ceux qui ne sont pas de service peuvent aller jouer au polo, au tennis, mais ils doivent, avant le coucher du soleil, être rentrés dans le fort autour duquel grouille une population de bergers et de marchands afridis.

Dans la salle du « Mess », sommairement construite en bois, badigeonnée à la chaux, les murs étalent une profusion de dessins au crayon, au fusain, à l’huile, indiquant l’état d’esprit, et la capacité artistique des auteurs. Les uns ont copié un « cipaye », une caravane, des types grotesques ou connus de la garnison, d’autres ont imaginé des allégories oubliées, des caricatures de politiciens disparus, la plus soigneusement retouchée représente l’Empereur de Russie, Alexandre III, galopant à travers les montagnes et reçu à Jamrod par un soldat barbu, coiffé d’un turban, qui le transperce de sa lance et en le clouant à un arbre.

La « Kyber Pass » commence à Jamrood pour se terminer à Landikota. La route est bonne, de sol ferme, mais très escarpée, elle sinue entre des murailles de rochers schisteux gris et rougeâtres creusés de trous béants, où les indigènes se retirent l’hiver. Un officier, armé d’un énorme revolver, mesure de prudence, nous accompagne. Un silence morne, effrayant, que ne trouble même pas le cri des oiseaux de proie, plane sur les bas-fonds broussailleux, le chaos des collines argileuses que nous dominons. La pente s’accentue. Philippe avance péniblement, et le chauffeur demande de l’eau pour rafraîchir le moteur. Le lieutenant C… requiert par certains cris spéciaux les piquets de sentinelles qui gardent les sommets de la « Pass » ; ils dévalent lestement les talus desséchés, le fusil en bandoulière ; ils saluent, regardent avec stupéfaction la machine et disparaissent. Quelques instants après,