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Les Frontières de l’Afghanistan


PESHAWER.


Aux environs de Peshawer, l’excursion de la « Kyber Pass » est classique. Ce défilé rocheux, long de 50 kilomètres, mène des Indes au cœur de l’Asie centrale à travers des territoires autonomes et le domaine du puissant Émir de l’Afghanistan. Ce chemin de caravane, si resserré qu’au sortir de l’Inde britannique deux chameaux n’y peuvent passer de front, serait la route possible de l’invasion russe. Attentivement jalouse de ses intérêts, l’Angleterre ne perd pas de vue cette éventualité contre laquelle elle se prémunit par un grand déploiement de forces européennes dans toutes les villes frontières, l’occupation des forts avancés dans la direction de Kaboul, enfin par de discrètes, mais décisives preuves d’affection données au Souverain Afghan. Une mission part ces jours-ci pour le Kaboul : nous avons eu le plaisir de rencontrer plusieurs de ses membres à Simla et ils avouent que ce n’est pas sans une certaine appréhension qu’ils vont affronter l’humeur capricieuse de ce musulman fanatique qui s’intitule « roi », auquel un Allemand, ex-ingénieur de Krupp, a organisé dans sa capitale de Kaboul, une artillerie des plus complètes et des plus perfectionnées. Placé comme un tampon entre l’avidité de deux races, l’Émir voit sans enthousiasme, les progrès de l’une et de l’autre, il refuse toute concession de voies ferrées à l’Angleterre, mais surtout à la Russie. Une curieuse prophétie jouit d’une popularité extrême parmi les Afghans et les Pathams. « Deux peuples viendront, dit le livre des « mullahs », l’un du Sud, l’autre du Nord, le pays tombera ; mais donne le sang de tes veines et ta soumission à celui qui montera vers toi des terres chaudes, odorantes du parfum des jasmins ». Aussi, en temps de guerre, l’Angleterre pourrait peut-être compter sur l’alliance de l’Émir, si le dicton hindoustani, belle image de la perfidie de ces races de frontière, ne l’avertissait « qu’il vaut mieux se confier à un serpent qu’à une femme, à une femme qu’à un Brahme, à un Brahme qu’à un Patham ».

Autrefois, des mesures de police très rigoureuses rendaient l’accès de la « Kyber » difficile aux étrangers n’étant point sujets britanniques ; actuellement, cette sévérité s’est, je crois, beaucoup adoucie, du moins nous n’en avons pas souffert. Au matin, nous quittons Peshawer, en automobile, emmenant avec nous le major R… K…, « le lord de la Kyber », commandant du fort de Jamrood, où il nous offre à déjeuner. La plaine de la rivière Kaboul s’arrondit en cercle, entre les remparts de Peshawer, les chaînes hymaléennes et les espaces pierreux qui chevauchent en ondula-