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À Travers l’Inde en Automobile

La place du Caravansérail s’anime le soir à l’heure du crépuscule, quand tombe dans l’air tranquille l’appel aigre du muezzin. Dociles à cette voix flutée, les chameliers se rassemblent devant un mur lisse qui s’allonge sur un des côtés de la place. Tournés vers la patrie de leur âme, dans un mouvement magnifique d’ensemble, ils se prosternent, essuyant de leurs fronts receleurs de pensées mauvaises, la terre encore chaude. Ils prient longuement, méditativement, aussi indifférents au monde extérieur qui les coudoie que peut l’être un moine dans sa cellule. La foule bruyante dont nous sommes entourés et la vue inusitée d’une automobile circulant dans la ville, ne les détournent pas de leur pieux devoir ; aucune oscillation de curiosité ne se manifeste parmi eux ; leurs regards restent attentifs, droits, fixés à l’horizon.

Le quartier riche à Peshawer, croulant, délabré, ne paraît pas, au premier abord, digne d’abriter des marchands, et des spéculateurs, dont la signature vaut 25 millions sur tous les marchés entre Téhéran et San-Francisco. Les maisons sont hautes, contrairement à l’usage actuel des Indes, on y accède par quelques marches et l’on pénètre dans des pièces basses par des portes cloutées dont l’encadrement est très finement sculpté de guirlandes de lotus ou de croissants de lune. Un dédale de cours, de sentiers tortueux, de passages obscurs, sollicite le regard à mesure que l’on avance entre les habitations sans fenêtre, muettes, closes. L’on marche avec une curiosité palpitante, aiguë, en plein conte mystérieux. Quelques demeures restées entrouvertes se referment doucement au passage de l’étranger. En une vision fugace, l’on entrevoit alors des intérieurs sombres, sorte de patios dallés, où de vieilles Musulmanes osseuses et ridées tordent du linge à la margelle d’un puits ; parfois, une superbe gamine drapée de noir se tient en équilibre sur des pierres plates, cimentées comme des échelons de poulaillers dans les murs et l’on devine que, perdu dans le gris des siècles et des poussières se cache le harem d’un riche Afghan ou d’un Patham généreux. Un palpitement d’humanité monte derrière les faîtes de murailles, épais de plantes grasses et flotte sur la ville avec les derniers feux de la lumière du jour, qu’en cette saison de Rhamadan, le peuple affamé, attend les yeux au ciel, les mains suppliantes levées vers Allah, le dispensateur de la vie.