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Les Frontières de l’Afghanistan

chauffe au-dessus et un réchaud qu’un apprenti attise en soufflant dans une canne de bambou perforé. Il martelle le métal précieux, l’arrondit, le coule en cercle de la grosseur d’un rouleau de bois appuyé au mur, le soude et le livre aux clientes, qui attendent silencieusement patientes. Quelques-unes ont les chevilles embarassées de bourrelets d’argent ou de nickel, elles marchent lentement, d’une allure lourde et furtive. La place principale de la cité affecte une forme de croix : c’est là que se tiennent les marchés de fruits à l’arrivée des caravanes de l’Afghanistan. Les melons juteux s’amoncellent, appétissants, entre les tas de dattes, les amas de figues, les boisseaux de grenades, les pyramides de pommes jaunes et rouges, les faisceaux verts de cannes à sucre, débités par un gigantesque marchand, qui pèse les tronçons dans une balance en corde tressée. Les chameaux, déchargés, vautrés à l’ombre des tamaris, grognent sourdement, réclamant leurs grains ; certains, d’un poil brun, laineux, ont l’encolure grasse et renflée comme un cou de cygne, ce sont les plus robustes et les plus appréciés. Les chameliers se carrent superbement dans leur veste de cuir ouvragé fourrée de chèvre du Thibet : ils ont le teint hâlé par le soleil et la poussière des longues routes à travers les monts du Kaboul, blanchit leurs sandales, couvre leur large pantalon de soie bise en forme de tire-bouchon et poudre jusqu’aux petites calottes d’étoffe frangée de passementerie qu’ils posent sur leur tête rasée. Ils mâchent de jeunes feuilles de tabac à peine sec, ou fument accroupis près de leurs bêtes, contant aux oisifs les histoires qui ont cours par delà « la Pass : » « Le chef des Sakahilsa promis à celui qui lui apporterait une tête d’officier anglais vingt-cinq mille roupies et si c’était celle du major R. K…, commandant le fort de Jamrood, le « saheb », qu’une escorte n’abandonne jamais, qui a des gardes nuit et jour devant son bungalow…, le Kahn donnerait bien cinquante mille roupies », ce serait tentant, si les agents de police, armés jusqu’aux dents, gourmés dans leurs costumes sombres, ne refroidissaient l’ardeur des plus violents, en leur rappelant qu’un gibet est vite dressé à Peshawer.

Une caravane se compose généralement de 5,000 chameaux, attachés de front trois par trois ; un homme en guide à peu près 50 par ce moyen. Leur défilé n’a rien de pittoresque : une succession de bêtes fatiguées, uniformément bâtées des sacs grisâtres contenant les marchandises. À Peshawer, la fréquence de ce spectacle contribue en grande partie à lui enlever tout intérêt. Dans les bazars, le séjour des conducteurs n’émeut guère que les femmes et la police ; ils passent pour galants et le service d’espionnage de l’Émir du Kaboul les compte presque tous à sa solde.