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Les Plaines du Penjaub


20 OCTOBRE.


Depuis Kalka nous suivons une assez bonne route, qui serait déserte la plupart du temps, si ce n’étaient les campements de gitanes perdus dans les hautes herbes des talus. Ils nous saluent au passage par des cris perçants et abandonnent, pour nous voir de plus près, les travaux de vannerie et de sparterie qu’ils exécutent au seuil de leurs cabanes de feuillage.

Avant d’arriver à Umballa, nous avons dû traverser un lit de rivière desséchée dont nous n’ignorions pas la nature sableuse, mais le manque de ponts et l’absence de routes ne nous permettaient pas l’option. Par surcroît de malechance, dans les environs pas un coolie, pas un enfant que nous puissions dépêcher pour aller chercher du renfort. Ce fut un régiment de soldats anglais en manœuvres qui nous aida à sortir de cet empâtement dans le sable. De la rive opposée, un officier, voyant notre perplexité, vint avec une escouade d’hommes nous demander s’il pouvait nous être de quelque utilité, et comme le moindre geste sportif fait vibrer et électrise ce peuple, lorsqu’en quelques mots nous eûmes raconté notre voyage, avec une vigoureuse exclamation toutes les épaules « kaki » s’accotèrent à la voiture et parmi les rires, les lazzis, Philippe atteignit la terre ferme. Mais cette journée était destinée à demeurer dans notre souvenir comme celle des « trois rivières ».

Avant d’atteindre Philour, l’on trouve la Sutledje dont Alexandre et Ranjit Singh ont fait un fleuve historique. C’est une immense et plate ligne de sable jaune, parsemée de paillettes, coupée de creux d’eau que des femmes en rouge traversent retroussées jusqu’aux hanches, leurs fines jambes ornées de bracelets de nickel. Derrière elles, s’avance une interminable file de chameaux balançant d’un air grave leur longue mâchoire muselée de filets, ils portent des outres énormes, en grès, des ballots d’étoffe, des cordages : parfois leur chamelier et son bagage.

De riches moissons d’orge, de patates douces couvrent le sol, et dans les champs de ricins ardoisés, des buffles labourent guidés par un cultivateur Jat. Nous nous arrêtons sous un groupe de raiforts touffus qui projètent des ombres déchiquetées sur le chemin. Le chauffeur, après bien des explications, des gestes, décide quelques indigènes à nous prêter leur concours pour traverser le fleuve ; ils conviennent longuement du prix, nonchalamment, ils détèlent leurs bêtes, les amènent près de la machine, les flattent, les caressent, et les lient aux essieux. Les petites vaches blanches rechignent, inquiètes, lardées de coups de lime