races, toutes les sectes, toutes les adorations se coudoient et se mêlent dans l’attente du grand nivellement de fins humaines. À côté du brahme, confiant au Gange les restes de ses divins aïeuls, le cultivateur Bengali laisse flotter des feuilles de bananiers garnies de lampions de verre bleu ou rouge en invoquant Shitala, la déesse de la petite vérole qui épargne son foyer ; les femmes aux jupes plissées rouges et pourpres, venues des déserts sableux de Marwar, baignent leurs enfants pour vivifier par l’eau sainte les membres grêles que la mort allait flétrir ; non loin d’elles, des bayadères vieillies jettent au fleuve, à pleines poignées, des fleurs de lauriers roses, des corolles violettes et veloutées, des pétales embaumées. Les barques chargées de fagots et de bois pour les piles funéraires des coolies heurtent les riches embarcations qui permettent aux princesses de venir invisibles, puiser au Gange les vertus des dieux ; les enfants cabriolent et s’amusent, ils plongent, ils s’aspergent et leurs souples corps effleurent le « jogui » effrayant, le désabusé, dont les yeux brûlants et la face torturée s’élèvent vers le soleil en une douloureuse et incessante supplication.
Les rives du Gange sont divisées en plusieurs ghats ou quais, et des centaines de marches raides et étroites conduisent du courant sacro-saint au cœur de la ville. Des maisons ornées de tours, d’avancements en widow, des palais qui servent de caravansérails aux sujets des Maharadjas orthodoxes sont comme jetés sur la berge ; des escaliers de donjon grimpent resserrés entre leurs hautes murailles percées d’innombrables ouvertures ruinées qui laissent apercevoir dans des pièces immenses et pauvres des pèlerins fatigués, des mendiants ignobles accroupis près de leurs idoles, des ermites, des solitaires, que la charité nourrit, des femmes, qui tendent les galeries de cotonnades pour conjurer les mauvais sorts. Ce fouillis d’habitations et de cours, est gardé par des divinités cachées dans des niches dorées ou argentées devant lesquelles se consument des mèches huileuses, des bouts de suif et se fanent des corbeilles de yucas et de lotus.
Le temple dédié à Shiva, qu’on ne visite pas et dont les coupoles dorées abritent les plus curieux rites des Indes, dominent la masse de ces constructions entassées sur un court espace de trois à quatre milles. Une ouverture pratiquée dans le cœur du sanctuaire permet aux Européens de jeter un coup d’œil à l’intérieur. L’obscurité y règne, l’on n’aperçoit que des formes humaines dans des attitudes suppliantes et l’image de Ganesh, le fils du dieu Shiva représenté sous la forme repoussante d’un brahme à tête d’éléphant. Le vestibule en marbre blanc et noir est incrusté de