Page:Faure - L’Arbre d’Éden, 1922.djvu/323

Cette page a été validée par deux contributeurs.

puissante de l’artiste une allure fatale, irrésistible comme les jours et les saisons, et la mort, et le destin, et pour tout dire impersonnelle : j’ai parlé de sa canne et de son melon, de ses souliers, de ses guenilles, immuables comme le cothurne et le masque du drame grec. Mais que dire de sa démarche, qui prend un rythme musical, de ses pieds en dehors, de ses sautillements de jubilation et d’allégresse, de ses oscillations éperdues sur un talon, de ses virages à angle droit, de ses pas de fantaisie dans le danger ou la lutte, de cette silhouette de pantin mécanique et falot où toute humanité tressaille ?

III

En somme, l’homme qui s’exprime ne nous parle vraiment que s’il nous conte son aventure à travers la vie, et s’il sait nous la conter. Son aventure spirituelle, s’entend. Rien hors de là. Que nous importe ce qui peut nous arriver ? Charlot objective puissamment son inaptitude à la vivre, qui est la nôtre, ce que sait bien le philosophe et de quoi se console l’artiste en lui donnant l’apparence de ses illusions et en jouant, avec ces illusions déchues, une farce héroïque qu’il regarde dans son miroir. Toujours battu, toujours vaincu, Charlot se venge, mais ça n’est jamais méchant. Il se venge en faisant des blagues, ou, ce qui est encore plus drôle, des bévues qui obligent les autres à porter une part de ses humiliations. Et la plus lourde.