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miroitement des rivières, de la plainte des violons. J’ai dit ailleurs qu’il me fait penser à Shakespeare. Je suis bien obligé de le redire, puisque la plupart accueillent mon insistance par des sourires supérieurs et que pourtant cette impression s’accuse toutes les fois que je le vois. D’une complexité sans doute moins grandiose — Charlot a trente ans et Shakespeare s’éloigne, et puis Shakespeare est Shakespeare — il a ce même lyrisme éperdu, mais lucide. À l’état sans cesse naissant et jaillissant de son cœur, il a, comme lui, cette fantaisie sans limites qui unit dans le même geste, spontanément, l’enchantement ingénu que la vie soit si magnifique et la conscience souriante, c’est-à-dire héroïque, de son inutilité. S’il penche du côté du rire, comme Shakespeare du côté de l’enivrement lyrique, c’est, comme lui, pour s’évader de ses expériences fâcheuses. Il rit de lui, même quand il souffre, et même quand il chante. La plus cruelle clairvoyance observe les effusions les plus fraîches du cœur, et les éléments sentimentaux, à l’instant où ils se confient au plus splendide accueil des astres, glissent sur quelque limaçon.

Pauvre Charlot ! On l’aime, on le plaint, et il rend malade de rire. C’est qu’il porte en lui, comme un fardeau dont il ne se délivre une seconde qu’en exigeant de notre joie qu’elle l’aide à le porter, le génie des grands comiques. Il a, comme eux, cette imagination exquise qui lui permet de découvrir, non seulement dans chaque incident, mais dans chaque fonction