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écran, des formes qui agissent, des visages qui reflètent, un jeu enchevêtré et continu de valeurs, de lumières, d’ombres se composant et se décomposant sans arrêt, pour réunir les impulsions et les volontés qu’ils expriment aux sentiments et aux idées du spectateur. Charlot, le premier entre tous les hommes, a su réaliser un drame cinéplastique — et rien que cinéplastique — où l’action n’illustre pas une fiction sentimentale ou une intention moralisante, mais fait un tout monumental, projetant du dedans de l’être, dans sa forme visible même et son milieu matériel et sensible même, sa vision propre de l’objet. C’est là, me semble-t-il, une très grande chose, un très grand événement, analogue à la concentration en eux-mêmes de tous les éléments colorés de l’espace par Titien, de tous les éléments sonores de la durée par Haydn pour en créer leur âme même et la sculpter devant nous. On ne s’en rend évidemment pas compte parce que Charlot est un pitre, et qu’un poète est, par définition, un homme solennel, qui vous introduit dans la connaissance par la porte de l’ennui. Cependant, Charlot m’apparaît aussi comme un poète, et même un grand poète, un créateur de mythes, de symboles et d’idées, l’accoucheur d’un monde inconnu. Je ne saurais dire tout ce que Charlot m’a appris, et point du tout en m’ennuyant. Car je l’ignore. Car c’est trop essentiel pour être défini. Car chaque fois qu’il m’apparaît, j’éprouve une sensation d’équilibre et de certitude qui fait foisonner mes idées et délivre