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les fruits plus abondants, les fleuves plus poissonneux, la vie plus facile et plus large. De plus, l’esprit métaphysique et moral de la Chine était venu tempérer la trouble et pesante atmosphère de la nature tropicale. Enfin, cinq ou six cents années après la disparition du bouddhisme de l’Hindoustan, vers le Xe siècle de notre ère, peut-être, le peuple khmer, comme le peuple de Java chez qui la sculpture décorative de l’Asie orientale, poussant un de ses rameaux les plus chargés, fleurit du haut en bas les monuments en bas-reliefs mouvants comme des peintures où l’épopée morale du Bouddha se déroulait parmi les bêtes, les forêts embaumées regorgeant de fruits et d’oiseaux, les chœurs, les musiciens, la grâce nonchalante et lascive des femmes qui prient et dansent et peuplent de rêves abondants le sommeil enivré du dieu, le peuple khmer était toujours bouddhiste et témoignait de préoccupations d’équilibre moral et d’harmonie à peu près inconnues aux sculpteurs des grottes d’Ellora et des temples pyramidaux.

L’orgie ornementale, certes, n’alla jamais plus loin. Il le faut bien, car la forêt est encore plus touffue, plus fleurie, plus peuplée, l’humidité plus chaude et la fièvre plus enivrante. Mais l’ornement obéit à un rythme d’un splendide balancement. Les entrelacs de fleurs, de fruits, de lianes, de palmes et de plantes grasses qui rampent du haut en bas des murs, le long des montants et sur les frontons des portes et jusqu’au sommet des hautes tiares aux quatre faces de Brahma qui remplacent ici la coupole indo-persane ou la pyramide dravidienne, épousent à tel point la ligne de l’architecture qu’elles la rendent plus légère et semblent la soulever toute comme en un réseau aérien de feuilles, de tiges enroulées, de frondaisons suspendues, une pluie silencieuse et tourbillonnante de corolles et de parfums.

Le sculpteur khmer donne une forme à tout ce qui n’atteint d’habitude notre sensibilité centrale que par ce que nous entendons et ce que nous goûtons et ce que nous sentons. Il sculpte les murmures et les lueurs et les odeurs de la forêt, le bruit cadencé des troupes en marche, le roucoulement profond des