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de monter vers le nord ou de descendre vers le sud. La végétation nourricière, les racines, les fruits, les graines sortaient d’un sol qui ne s’épuise pas. Il tendait la main, et il ramassait de la vie. Dès qu’il entrait dans les bois pour recueillir l’eau des grands fleuves ou chercher les matériaux de sa maison, la mort surgissait irrésistible, entraînée par le flot avec le crocodile, tapie dans les taillis avec le tigre, grouillant avec le cobra sous les herbes, effondrant le rempart des arbres sous la marche de l’éléphant. À peine s’il distinguait, dans l’enchevêtrement nocturne des troncs, des rameaux, des feuilles, le mouvement de la vie animale des mouvements de la pourriture et de la floraison des herbes. Né des fermentations obscures où la vie et la mort fusionnent, le torrent de la sève universelle éclatait en fruits sains, en fleurs vénéneuses, sur le corps confus de la terre.

Les visages indistincts de sourire et de cruauté que la nature offrait à l’homme, faisaient tomber les armes de son esprit et de ses mains. La possibilité d’atteindre un idéal moral au travers des bois formidables et des tentations multipliées, lui paraissait aussi inaccessible que le front de l’Himalaya qui soulevait les plus hauts glaciers de la terre dans la lumière bleue du Nord. Acceptant la vie et la mort avec la même indifférence, il n’avait plus qu’à ouvrir sa sensualité à la pénétration de l’univers et à laisser monter peu à peu de ses instincts à son âme ce panthéisme grandiose et trouble qui est toute la science, toute la religion, toute la philosophie de l’Indien. Pourtant, lorsque Alexandre arriva sur les bords de l’Indus, une grande révolution sociale bouleversait la péninsule. Le Bouddha Çakia-mouni, un siècle auparavant, avait senti l’ivresse panthéiste inonder sa vie intérieure et l’amour l’envahir avec la puissance des fleuves. Il aimait les hommes, il aimait les bêtes, il aimait les arbres, il aimait les pierres, tout ce qui respirait, tout ce qui palpitait, tout ce qui remuait, tout ce qui avait seulement une forme sensible, des constellations du ciel à l’herbe où se posaient ses pieds. Puisque le monde est un seul corps, il faut bien qu’une tendresse irrésistible pousse les