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grâce au prêtre - ne savons-nous pas, par Platon, qu’en Égypte « aucun artiste chargé de représenter une figure quelconque n’avait le droit d’imaginer la moindre chose contraire à la tradition » ? - c’est grâce au prêtre que l’art nilotique, n’ayant pu sortir de ses cadres, a ondulé entre leurs plans définitifs avec une sûreté et une subtilité telles que seul au monde, avec la pierre morte comme moyen d’expression, il est parvenu à rejoindre, pour les besoins profonds d’une âme que le prêtre ne pouvait pas étouffer, la puissance mystérieuse du langage musical.

Ce qui fait la grandeur unique de l’art égyptien, en effet, c’est que seul, et cela pendant cinq ou six mille ans - les deux tiers, les trois quarts peut-être de l’histoire humaine - il est resté jusqu’à sa mort plongé dans l’architecture - je veux dire dans une conception architecturale infrangible de l’univers. Privilège grandiose, qui en fait la source sacrée, et sans qui probablement ni l’art d’Europe ni l’art d’Asie n’eussent été. Je rougis presque d’avoir consacré plusieurs chapitres à l’art grec, ou italien, ou français, alors que l’Égypte entière tient dans un seul, et non point le plus long de tous. Mais, à la réflexion, il me semble qu’il n’en pouvait être autrement. L’art égyptien est si hautain, si hermétique, si fermé de toutes parts, si profondément solitaire, si décidé à se suffire à lui-même, n’accueillant jamais le détail pittoresque, l’anecdote, l’accident, ne soupçonnant même pas qu’ils pussent émouvoir, il est aussi, avec cela, dans sa simplicité ardente, si humain, que je trouve aussi difficile d’épiloguer sur n’importe laquelle de ses réalisations que sur ses Pyramides par exemple, alors qu’il est impossible de ne pas expliquer longuement les formes figurées dont le drame et le mouvement sont le prétexte essentiel. On peut écrire trois volumes sur Michel--Ange, ou Rubens, ou Tintoret, ou Goya, ou Delacroix. Une page sur l’art égyptien devrait suffire, comme une statue memphite seule, où nul hiatus dans la forme globale ne permet de pénétrer, où nul accident de surface ne permet de s’accrocher, a le pouvoir unique, si l’on