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ami des glaces qui descendaient des Alpes, des Pyrénées, des Cévennes jusqu’à la lisière des plaines, y vivait en troupes nombreuses. L’homme s’était dégagé de la bête dans un effroyable silence. Il apparaissait à peu près tel qu’il est aujourd’hui, les jambes perpendiculaires, les bras courts, le front droit, la mâchoire effacée, le crâne volumineux et rond. Cette harmonie qui commençait à régner autour de lui, il allait, par l’esprit, l’introduire en un monde imaginaire qui deviendrait peu à peu sa réalité véritable et sa raison d’agir.

L’évolution primitive de ses conceptions artistiques est, bien entendu, profondément obscure. Avec un recul pareil, tout semble au même plan, et les divisions établies sont sans doute illusoires. La période paléolithique a pris fin avec l’âge quaternaire, douze mille années au moins avant nous, et l’art des troglodytes, à cette époque reculée, avait déjà atteint le sommet de sa courbe. Le développement d’une civilisation est d’autant plus lent qu’elle est plus primitive. Ce sont les premiers pas qui sont les plus chancelants. Les millions de haches éclatées trouvées dans les cavernes et dans le lit des fleuves, les quelques milliers de dessins gravés sur des os, sur des bois de rennes, les poignées sculptées, les fresques découvertes sur les parois des grottes représentent évidemment la production d’une très longue série de siècles. Les variations des images conservées ne peuvent s’expliquer uniquement par des différences de tempéraments individuels. L’art des troglodytes n’est pas fait de tâtonnements obscurs, il se développe avec une logique et un accroissement d’intelligence qu’on devine et dont on peut embrasser les grandes lignes mais qu’on ne pourra sans doute jamais suivre pas à pas.

Ce qui est sûr, c’est que l’artiste paléolithique appartenait à une civilisation déjà très ancienne, et qui cherchait à refléter dans son esprit, en interprétant les aspects du milieu où elle était destinée à vivre, la loi même de ce milieu. Or, toute civilisation, aussi haute soit-elle, n’a pas d’autre mobile et d’autre fin. Le chasseur de rennes n’est pas seulement le moins borné des primitifs, il est le premier des civilisés. Il possède l’art et le feu.