Page:Faure - Histoire de l’art. L’Art antique, 1926.djvu/39

Cette page n’a pas encore été corrigée

Pas ici. Le cadre n’est pas assez large. Et je souhaite que mon lecteur soit trop impatient d’aborder le récit des aventures que j’ai tenté de lui conter, pour consentir à en cueillir la fleur avant que nous ayons eu la joie de la respirer ensemble. Pourtant, je ne voudrais laisser subsister entre lui et moi, dès le seuil de ce livre, le moindre malentendu. Je l’ai déjà prévenu que je me reconnaissais à peine dans ces pages liminaires d’un ouvrage déjà ancien. Elles constituent un plaidoyer d’ailleurs obscur, et souvent vulgaire, en faveur de l’utilité de l’art. Je veux dissiper l’équivoque. Je n’ai pas cessé de penser que l’art fût utile. J’ai même renforcé mon sentiment sur ce point-là. Non seulement l’art est utile, mais il est, sans doute aucun, la seule chose qui soit réellement utile à nous tous, après le pain. Avant le pain, peut-être, car enfin, si nous mangeons, c’est afin d’entretenir la flamme qui nous permet d’absorber, pour le refondre et le répandre, le monde des illusions bienfaisantes qui se révèle et se modifie sans arrêt autour de nous. Du collier d’osselets de l’homme des cavernes et des lacs jusqu’à l’image d’Épinal accrochée au mur du cabaret de campagne, de la silhouette d’auroch creusée dans la paroi de la grotte périgourdine jusqu’à l’icône de l’alcôve devant qui le moujik entretient le feu, de la danse de guerre du Sioux à la Symphonie héroïque et de la gravure teintée de vermillon et d’émeraude qui se cache dans la nuit des hypogées à la fresque géante qui resplendit dans la salle de fête des palais vénitiens, le désir d’arrêter dans une forme définie les apparences fugitives où nous croyons trouver la loi de notre univers et la nôtre et par qui nous entretenons en nous l’énergie, l’amour, l’effort, se manifeste avec une constance et une continuité qui n’ont jamais défailli. Que ce soit la danse ou le chant, que ce soit l’image ou le récit au milieu d’un cercle d’auditeurs, c’est toujours la poursuite d’une idole intérieure que nous croyons toutes les fois définitive et que nous n’achevons jamais. Ce « jeu désintéressé » dont tous les philosophes qualifient l’irrésistible besoin qui nous pousse, depuis toujours, à extérioriser les cadences