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sur les esprits, le souvenir qu’ils ont laissé imposent à celui qui commente le passé certains sommets, certaines dépressions visibles à tous et qu’il n’a plus, pour en refaire un organisme vivant, qu’à réunir par une courbe. De plus près, l’intuition seule décide, et le courage à s’en servir. Tant pis pour qui ne sait oser et s’en remettre à l’avenir du soin de dire s’il a bien ou mal fait de jouer avec les œuvres et les hommes de son temps comme un artiste avec l’ombre et la lumière qu’il distribue sur l’objet. Il est possible que, du point de vue orthodoxe de l’Histoire, ce soit une hérésie que d’affirmer, par exemple, que la moindre étude de Renoir, la moindre aquarelle de Cézanne appartient beaucoup plus effectivement à l’histoire de l’art que les cent mille toiles exposées, pendant dix ans, dans tous les salons de peinture. Et cependant, il faut risquer cette hérésie. Le poète du temps présent fait l’histoire du temps futur.

Allons plus loin. Le geste d’un affamé qui tend la main, les mats que murmure à l’oreille du passant une femme, dans quelque énervante soirée, le geste humain le plus infime, tiennent dans l’histoire de l’art même une place bien plus grande que les cent mille toiles en question et les associations d’intérêt qui tentent de les imposer au public. La multitude orchestrale qui fait valoir le jeu d’artistes tels que Cézanne ou Renoir et que ce jeu met en valeur à nos yeux mêmes, n’est constituée que dans une mesure insignifiante par la masse des œuvres médiocres au milieu desquelles elle apparaît comme un cri dans un silence plein de mimiques indiscrètes et de gestes excessifs. Elle est dans l’ensemble diffus des mœurs, de leur action sur l’évolution et l’échange des idées, dans les découvertes, les besoins, les conflits sociaux du moment, les bouleversements obscurs et formidables que l’amour et la faim provoquent dans les profondeurs de la vie collective et les mobiles cachés de la conscience individuelle. Que le mouvement dit « artistique » qui flotte à la surface de l’Histoire par le moyen des Instituts, des Écoles, des doctrines officielles comme un fard mal lié sur un visage féminin