Page:Faure - Histoire de l’art. L’Art antique, 1926.djvu/324

Cette page n’a pas encore été corrigée

L’équilibre romain n’eut pas le caractère spontané et philosophique de l’équilibre athénien, et ce n’est pas tant à cause de l’étendue multiforme de l’Empire de Rome que de la profondeur de son anarchie morale. La Grèce, en guerre avec la Perse, était beaucoup plus près de l’harmonie que Rome ne le fut à l’heure même où elle décrétait la paix. Son repos, son art, jusqu’à ses plaisirs furent d’ordre administratif. La lutte des intérêts, la rivalité des classes, le désordre social n’y cessèrent pas, des premiers temps de la République au triomphe du christianisme. Tout le long de l’histoire romaine, le pauvre lutte contre le riche qui le tient d’abord par la guerre, ensuite. par les jeux. Mais, plus bas que le pauvre, il y avait un être plus misérable qui n’assistait guère aux jeux qu’en qualité d’acteur. C’était l’esclave, le grouillement obscur de Suburre et des Catacombes, la femme, autre esclave outragée tous les jours et par tous dans sa chair et dans sa tendresse. L’être qui vit dans les ténèbres demande sans cesse au soleil qu’il se lève au-dedans de lui. La marée mystique des pauvres, née du scepticisme hellénique, monte et va submerger le matérialisme romain. Rome ne se doutait pas, sans doute, que le jour où elle brisa l’effroyable résistance du petit peuple juif, ce jour-là marqua le commencement de la victoire du petit peuple juif sur elle. Il était dans la loi des choses que l’âme du monde antique, comprimée par Rome, refluât dans l’âme de Rome. Les patriciens avaient subi l’idéal grec, les plébéiens, à leur tour, subissaient l’idéal juif.

L’Église allait se bâtir sur cette pierre dure, et le riche, encore une fois, asservir le pauvre en lui donnant la promesse ou le simulacre des biens qu’il réclamait. Rome, en se faisant chrétienne, ne cessa pas d’être elle-même, comme elle était restée Rome en croyant s’helléniser. Les apôtres avaient déjà voilé le visage du Christ. Rome n’eut pas de peine à couler le sentiment des masses au moule de sa volonté pour les lancer de nouveau à la conquête de la terre. Son désir matériel d’empire mondial allait se réveiller au contact du rêve de communion morale universelle que le christianisme, après le boud-