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foules, comme abri perpétuel, les courbes arrondies par-dessus la courbe de la terre. Il fallait l’audace des hommes pour suspendre la matière dans l’espace par sa propre pesanteur, coller les pierres l’une à l’autre en leur laissant trop peu de place pour leur permettre de tomber et réfréner leur tendance à s’écarter l’une de l’autre en donnant aux piliers qui les portent, à force de les épaissir, une absolue solidité.

Plus il est haut, plus il est droit, plus il est nu, plus il est épais et dense, moins il offre de jours, d’ouvertures, de vides, mieux le mur représente, sur la face riante ou dramatique du sol, l’image de la volonté, de l’énergie, de la continuité dans l’effort. Le mur romain est l’une des grandes choses de l’Histoire. Il est l’Histoire. Et, comme il est la force, il est le droit. Il semble sans interruptions, il tient toujours, même craquelé de fissures. La chute de mille pierres ne l’ébranle pas. Pendant dix siècles, on a bâti toutes les maisons de Rome avec les moellons du Colisée. Le Colisée n’a pas changé de forme. Le mur romain reste partout identique à lui-même. La dalle des routes qui, durant deux cents lieues, poursuit sa marche rigide, n’est qu’un mur couché sur la terre pour l’étreindre et l’asservir. L’arche des’ ponts, qui n’est qu’un mur tendu comme le bois d’un arc, bande la corde passive des fleuves. Le mur des aqueducs creusé comme le lit des fleuves même, porte leurs eaux en ligne droite là où l’édile le veut. Haut et nu, le mur extérieur du théâtre interdit aux yeux de celui dont il s’agit d’endiguer les appétits ou les révoltes, d’errer sur le libre horizon. Le mur des cirques, continu et compact comme un cercle de bronze, enferme l’orgie sanglante dans la rigueur géométrique d’un problème administratif. Le mur qui s’arrondit au-dessus des tepidariums et des piscines avec la docilité d’une atmosphère maintenue dans ses frontières sphériques par la gravitation des cieux, confère à la volupté et à l’hygiène l’autorité grandiose d’une loi d’ordre naturel.