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énorme énergie, d’énormes travaux qui accroissaient cette énergie, exaltaient cet orgueil et le poussaient à entreprendre des travaux toujours plus énormes. Sous l’Empire, c’est une course à l’énorme. Encore des aqueducs, des ponts, des routes, encore des pierres à côté d’autres pierres, encore des pierres sur des pierres. Avec l’Asie asservie, la paix imposée, la soif et la liberté de jouir ont fait leur entrée dans Rome. Elle s’y rue, avec sa force de conquête et d’autorité. Plus énorme toujours, dans le jeu, l’amour, la paresse, comme dans la guerre, la loi, l’histoire, la construction de la cité. Rome ne se contente plus de faire sentir aux limites de son empire les pulsations de son cœur, elle transporte au-dedans d’elle jusqu’à la matière de son empire. Les hommes de toutes les races l’engorgent, y traînant derrière eux leurs mœurs, leurs dieux, leurs sols. « Les climats sont vaincus, la nature asservie ; la girafe africaine se promène dans Rome sous une forêt mobile, avec l’éléphant indien ; les vaisseaux combattent sur terre » [15] . Après les aqueducs, après les routes, on construit des amphithéâtres, des cirques où des armées s’égorgent, où quatre-vingt mille Romains peuvent voir lâchée contre les hommes toute la faune du désert, de la forêt, de la montagne, et des nappes de sang chaud arroser le sang coagulé. On bâtit des thermes, avec des piscines où trois mille baigneurs sont à l’aise, des tepidariums immenses, des promenoirs à voûtes monstrueuses où l’oisif passe sa journée au milieu des femmes, des danseuses, des musiciens, des rhéteurs, des sophistes, des statues rapportées de Grèce. Mais l’âme de la Grèce n’y est pas entrée avec elles. Le Grec, jusqu’aux jours de sa plus triste déchéance, aimait ces formes pour elles-mêmes. Le Romain les juge à peine dignes d’encadrer l’orgie de chair, de sang, d’eaux ruisselantes. Il s’enfonce avec frénésie dans sa lourde sensualité.

Mais là au moins il est artiste, sans le savoir. La fonction sans doute est basse, toute submergée de matière, positive, égoïste, cruelle. Mais l’organe qu’elle appelle y est si puissam-