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moins, n’avait pas peur des vides, il était trop vivant, la sève primitive ne l’avait pas abandonné. S’il n’avait rien à dire, il se taisait. Mais le sculpteur de Pergame redoute ces grands silences où l’esprit de Phidias, quand il quittait une forme pour aller vers une autre, glissait sur un flot invisible. Le sens de la continuité spirituelle des volumes lui est tellement étranger qu’il ne résiste pas au besoin d’y suppléer par la continuité factice d’un verbalisme extérieur. Il remplit les fonds, comble les trous, bouche tout espace visible. Quand on a peu de chose à dire, on parle sans arrêt. Le silence ne pèse qu’à ceux qui ne pensent pas.

Ces cris, ces yeux implorants, ces gestes désespérés ne répondent ni à l’éveil de la souffrance, ni à l’éveil de la pitié. La douleur a l’âge de l’esprit. Les hommes disparus n’avaient ignoré ni les drames de l’amour, ni les drames de la paternité, ni les drames de la guerre, ni les abandons, ni la mort, mais ils savaient y recueillir des accroissements de puissance. Quand l’homme aime la vie, il domine et utilise la douleur. C’est quand il n’agit plus que les larmes mènent le monde. Les héros larmoyants, les dieux épileptiques n’ont plus rien en eux de l’âme grecque, ils n’ont plus rien de l’âme humaine. Elle fuit par les bouches hurlantes, les cheveux dressés, l’extrémité des doigts, la pointe des lances, par les gestes qui l’éparpillent. Le monde est mûr pour adopter les dualismes antagonistes qui vont écarteler la civilisation. Ici la terre, là le ciel, ici la forme, là l’esprit. l leur est interdit de se rejoindre, de se reconnaître l’un dans l’autre. L’homme désespéré va errer dix ou douze siècles dans la nuit qui tombe entre eux. Déjà, les auteurs des groupes de mélodrame, le Laocoon, le Taureau Farnèse, et des suicidés romantiques ne sont plus des sculpteurs, mais des comédiens boursouflés. Le sentiment, qui va renaître dans lés foules, est mort chez les tailleurs d’images, domestiqués par les puissants. Leur science même est morte. Le statuaire est à peine un anatomiste appliqué qui suit avec exactitude le relief des muscles et le mouvement dramatisé que la mode prescrit à son modèle. La sculpture ne