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son chef qu’il accuse, si ce désir n’est pas pleinement satisfait. Le grand homme, c’est l’ennemi, parce que ses gestes provoquent la réflexion, l’action, la guerre. La guerre perpétuelle, qui n’est que la passion transportée dans le plan politique, entretenue par l’instabilité, la déroute, la renaissance du désir, l’impossibilité d’y renoncer à cause de la proie visible, l’impossibilité de la conduire à sa fin à cause des sacrifices et des misères qu’elle conditionne et entretient. L’Apollinisme en est le fruit, d’autant plus splendide, il faut le dire, que le drame, plus terrible, orme quelques hommes supérieurs plus ardents à le maîtriser. Il est !’ordre idéal établi par l’esprit dans le chaos des opinions et des intérêts antagonistes, la rivalité sauvage des partis, le besoin frénétique, à tout instant rompu, de saisir un bien matériel à qui les convoitises décharnées prêtent une apparence de fantôme changeant et fuyant sans repos, l’irruption continue, dans l’imagination surexcitée d’une multitude intelligente, turbulente, insatiable, d’images claires et précises qu’elle compte réaliser. La grande gymnastique en est l’expression sociale essentielle, qui maintient dans le tumulte le désir impérieux d’imposer à tous une discipline capable d’assurer la continuité de l’effort intellectuel même. Le grand homme, artiste ou guerrier, est comme un nerf tendu entre les deux extrémités d’un arc toujours vibrant que le sang et la fange souillent. Et par elle, et par lui, cette race vile, mais passionnée et que la soif de dominer ravage, est quand même une grande race, ce qui prouve, une fois de plus, que la civilisation et la morale sont choses qui ne coïncident pas toujours. Le Grec ne valait moralement pas mieux aux temps de Périclès, ni même de Pisistrate, qu’aux temps moins héroïques de Philippe ou de Sylla. Mais il n’avait pas perdu, sous Périclès ou Pisistrate, l’énergie vitale terrible qui lui permit de traverser de part en part le drame en y puisant le privilège de déléguer à quelques hommes la mission de le styliser. L’immoralité- ne commence que quand la force décroît.