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grec à son crépuscule pour en tirer un suc qu’il n’enferma jamais, - je veux dire ces réalités spirituelles neuves que, par haine du christianisme, je me refusais à admettre que le christianisme apportait.

Depuis, après tant d’autres, il est vrai, j’ai subi l’assaut du monde et l’infiltration du devenir. Si nous connaissions à peu près, il y a vingt ans, l’art égyptien, étions-nous prêts à assimiler sa spiritualité immense ? Ne fallait-il pas que la musique, la guerre, l’angoisse universelle vinssent nous y préparer ? A cette époque, d’ailleurs, nous ignorions la grande sculpture chinoise, et la marée de la grande sculpture indoue n’atteignait pas nos cœurs. Les fétiches nègres, les idoles aztèques, toutes les formes enfantines et formidables que nos instincts, dans leur plus limpide pureté revêtent, dès ‘qu’ils veulent se définir, nous semblaient à peine acceptables, horribles en général, comiques le plus souvent. L’effort de nous accepter dans l’histoire entière de l’homme et de retrouver à toutes ses pages un aspect de nous-mêmes parfois tout à fait essentiel nous est à tel point pénible que nous préférons presque toujours mourir spirituellement sur place plutôt que de l’accomplir. La splendeur symphonique de la plus vaste humanité n’apparaît qu’à ceux qui consentent à cet effort. C’est au génie grec, sans doute, que nous devons vingt siècles d’aspiration continue vers la réalisation d’un esprit européen qui a donné des fruits merveilleux mais croule à cette heure même. C’est de tout ce qui n’est pas le génie grec aussi bien que du génie grec que nous pouvons espérer la naissance d’un esprit qui ne sera peut-être plus exclusivement, ni peut-être même point du tout européen, mais acheminera l’homme, en un coin du monde, ou partout, vers une méthode nouvelle, et vivante, d’exploration, d’exploitation, de développement de ses moyens.

Je sais bien qu’un danger terrible surgit à cet instant précis. Le radeau, même disloqué, est malgré tout, entre l’abîme et nous, une barrière. Hors lui c’est la mer sans limites, pleine de monstres, et nul ne sait, en s’y jetant, s’il atteindra le